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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Est-ce loin ? demandait un de nos touristes exténué.

— Loin ? ah ouah !

Un colloque s’établissait d’une voix traînante entre les montagnardes. L’une parlait d’un tiers « d’heur’ », une autre de deux tiers « d’heur’ ». Il suffisait de retourner « drait en dessus d’où ils venaient. »

Une autre, en voyant la bande fatiguée affirmait qu’il leur faudrait plus de temps.

— C’est pas d’un’ heur’  qu’ils y vont, allais !

— Je voulé dépenser bôcoup d’argent, compréné-vô le chose ? répétait l’Anglais.

— Encore faudrait-il être sûr d’être hébergés, observait Maurice. Si c’était une auberge ?…

— Pas seulement, pas seulement ; mais il y a des chambres, pardi, des lits, et tout, pardi, il y a de tout et de tout.

Méloir intervenait.

— Not’e maître, si c’était un effet de vot’e politesse d’y demander s’y on aura du quoi pour manger ; faut pas mentir, mais j’ai mon estomac plus bas que mes semelles.

Enfin un gamin s’offrait de conduire les voyageurs à ce port de salut. On se mettait en route. Pour pénétrer dans la maison hospitalière il fallait parlementer un bon moment. Introduits, le baronnet et sa piteuse suite devaient attendre que le souper des hôtes eût pris fin.

Ils voyaient la table chargée d’un monceau de pommes de terre rôties sous la cendre, éclatées et farineuses à plaisir, de plusieurs pots de lait tout fumant, d’une grosse cafetière ; mais on les priait dépasser derrière quelques sacs d’avoine empilés ; tout à l’heure on s’occuperait d’eux.

Des deux côtés de la salle basse deux grands lits bien garnis, dressaient leurs courtines ; pourtant il en serait du coucher comme du souper ; il leur faudrait aller reposer au fenil. Heureusement, les draps ne manquaient pas dans la maison solitaire, prise au dépourvu de tout — même de bonne volonté.

Et le lendemain, quand on voulait partir, il fallait arracher Méloir des mains des garçons de ferme ou de moulin avec qui le Breton, peu endurant et mal nourri, venait de se prendre de querelle.