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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

à l’autre du fleuve, joint Vienne à Sainte-Colombe. Au-dessous, un pilier brisé du vieux pont romain lève sa tête hors de l’eau. Le baronnet eut toutes les peines du monde à se détourner de cet écueil.

Il passa devant Tournon et les abruptes collines au pied desquelles la ville est couchée, et c’est à peine s’il aperçut son château gothique perché sur un rocher très pittoresque…

Il approchait de Valence. Tout à coup, sur sa gauche, l’Isère apporta au grand fleuve, très large déjà, le tribut considérable de ses eaux. La force du vent augmentait et le canot de papier fut assailli par une véritable tempête. De fort loin, le vent d’octobre amenait tourbillonnantes les feuilles rougies et brûlées arrachées aux arbres des campagnes. Les vagues à crêtes blanches embarquaient de l’eau dans le canot à travers la toile qui en formait le pont. Le baronnet s’en aperçut. Il sentait l’eau lui monter aux chevilles, et dans ces conditions il devait absolument songer à prendre terre le plus tôt possible.

Du confluent de l’Isère et du Rhône à Valence même, il y a cinq ou six kilomètres. Le baronnet fut emporté le long de la rive droite d’une île. En atteignant son extrémité, il découvrit le chef-lieu du département de la Drôme, à l’endroit où le fleuve forme un coude très marqué. En face de la ville, une dernière ramification des Cévennes dressait ses roches énormes, coupées à pic et couronnées des ruines du château de Crussol.

En aval de Valence, il apercevait le magnifique pont suspendu sur le Rhône ; malgré la grande largeur du fleuve ce pont n’a que deux arches. Le baronnet se promit bien de faire tout ce qui dépendrait de lui pour ne pas dépasser ce pont ; tous ses efforts tendirent à diriger le canot de papier vers des chalands amarrés à la rive ; mais le canot s’obstinait à courir droit sur la pile du milieu du pont. Les promeneurs, les mariniers descendirent au bord de l’eau pour voir de plus près ce qui allait arriver…

Le baronnet ramait désespérement. Au fond, il lui importait peu d’aborder en amont du pont ou en aval ; l’essentiel était pour lui de ne pas aller plus loin que Valence. Le vent le contrariait beaucoup dans ses mouvements et, quoi qu’il pût faire, il fut lancé sur la pile du pont, contre laquelle, l’avant de son canot s’écrasa.

Le choc fut tel que le rameur, brisant les fargues, fut projeté violemment dans le fleuve.

Heureusement pour lui un petit bâtiment à vapeur remontait le Rhône, remorquant plusieurs bateaux. Grâce à d’habiles manœuvres et avec l’aide