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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/733

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

avec une très grande rapidité jusqu’à Avignon : sa vitesse ne se ralentit qu’aux approches de Beaucaire et d’Arles, et c’est tout à fait paisible et calmé, qu’il arrive à la mer.

L’Anglais, trompé par les agréments de sa navigation sur la Saône, ne se doutait pas des périls qui l’attendaient. Illes devina toutefois à peine engagé au fil de l’eau ; mais trop tard pour rétrograder. Le canot de papier glissait sur le fleuve ainsi qu’un coquille de noix et avec la légèreté d’un bouchon ; mais un vent du sud assez fort soulevait de petites vagues qui secouaient la frêle embarcation.

Comme le baronnet avait sournoisement amassé d’assez abondantes provisions de bouche, le canot, mieux lesté, donnait davantage prise à la masse d’eau qui l’entraînait. Son seul espoir — il le raconta plus tard — était de parvenir à jeter une amarre à l’une des stations du littoral et de réussir à la placer entre les mains des gens de bonne volonté qui voudraient bien s’en saisir, — au risque d’être entraînés. À plusieurs reprises, il tenta vainement d’aller s’échouer au milieu d’un fourré de roseaux.

Près de Lyon, les rives du Rhône s’étaient couvertes de curieux qui poussaient des exclamations, s’étonnaient, riaient, levaient les bras en l’air — lugubre adieu à un téméraire qui semblait voué à une perte certaine. On admirait aussi l’extrême légèreté et le poli de la coque de ce canot, dont le bordage ne s’élevait pas à plus de cinq à six pouces au-dessus de l’eau.

Le baronnet malgré son vif désir d’aborder, était toujours entraîné vers le milieu du fleuve et demeurait tout préoccupé, tantôt d’éviter une des îles du Rhône, tantôt un bateau à vapeur remontant le courant, tantôt de franchir les arches redoutables d’un pont.

Il marchait avec une vitesse de quinze kilomètres à l’heure. C’est dans ces conditions plus qu’aventureuses qu’il longea successivement les limites départementales de la Loire et de l’Isère, — à tribord et à bâbord — de l’Ardèche et de la Drôme, ayant à sa droite les monts du Lyonnais, puis ceux du Vivarais.

Il passa comme un trait devant Vienne, qui après avoir été Vienne la belle, au temps où les Césars y élevaient des palais et des temples, fut successivement Vienne la sainte, en souvenir des martyrs qu’elle donna au christianisme naissant, puis Vienne la républicaine et Vienne la patriote. De l’antique cité, abritée par cinq montagnes qui l’enveloppent en demi-cercle et la garantissent des vents du nord et des ardeurs du midi, il ne vit guère que sa tour de Pilate croulant dans le Rhône.

Un pont de fil de fer, si léger qu’il ressemble à un ruban tendu d’une rive