Aller au contenu

Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/742

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
734
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Hans Meister l’assistait charitablement des plus persuasives mélodies de son orgue de Barbarie ; mais « ça ne mordait pas. »

— Surtout… n’aie pas l’air de me connaître, malheureux !

Ce furent les premiers mots que le charlatan adressa à voix basse au Breton.

— On croirait que tu es mon compère, ajouta-t-il.

Jacob Risler avait presque aussi vite constaté l’identité du gars à la mentonnière avec son « père aux chandelles », que lui-même avait été reconnu. Hans, seul ne voyait rien, bien qu’il loucha autant et plus que jamais, et peut-être pour cette raison.

Méloir dut s’asseoir et se frictionner les gencives coram populo. Il avoua qu’il se sentait considérablement soulagé. Que n’eut-il pas avoué pour esquiver les ennuis de cette exhibition ?

— Et c’est d’une odeur et d’un goût agréables, n’est-ce pas ? lui demanda avec l’accent du triomphe le vendeur d’orviétan. Dites la vérité, toute la vérité, rien que la vérité !

— Faut pas mentir, mes bons chrétiens, et vous me hacheriez en petits morceaux que je ne dirais que ce qui est, fit le Breton décidé à faire preuve de bon vouloir ; de sûr et de vrai on dirait quasiment de la limonade, da !

— C’est justement, reprit Jacob, la remarque qui a été faite déjà par le prince de Bismarck, qui a eu l’honneur de me commander incontinent un onguent pour la calvitie à l’usage de sa noble tête.

À ce nom de Bismarck, le joueur d’orgue ajusta la roue de son instrument pour un nouvel air, un air de bravoure, qu’il enleva avec entrain, mais qui déplut au public dès les premières notes.

— Ce sont des Allemands, se disait-on dans les groupes.

Sur ce bel air, le charlatan arracha la mentonnière de Méloir, et le forçant à se lever, il lui tint la tête et montra victorieusement à tous, ses deux joues, pourpres toutes les deux, — de confusion : il était impossible, en effet, de reconnaître le côté malade.

— Savoyards ! criait Jacob, guérissez, n’arrachez pas !

Un dentiste ambulant se trouvait dans la foule. Indigné de la proclamation de cet axiome sur un air qui résonnait à ses oreilles avec des accents de défi, il excita les mécontents et se mit bientôt lui-même à crier :

— C’est des Allemands ; faut les faire déguerpir. À la porte ! À la porte !

À la porte ! sur une place ! Néanmoins ces mots produisirent un certain effet. Il y eut rupture et envahissement du cercle d’oisifs, et Jacob fort sur-