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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/75

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

qui, levant les derniers scrupules de Jacob sur la croix de son cousin, la lui avait attachée lui-même sur la poitrine. La chose lui parut si amusante qu’il se livra, autour de son compère, — de sa victime, — à une danse désordonnée de cannibale ou de Peau-Rouge.

Est-il besoin maintenant de dire que les deux hommes qui s’échappaient du train de Limoges à Toulouse, entre Brive et Turenne, n’étaient autres que Jacob Risler et son ami Hans Meister ? Encore une bonne plaisanterie de Hans, — capable de faire envoyer Risler à la Nouvelle-Calédonie pour le restant de ses jours ! Mais quand il avait ingurgité la boisson favorite de son compère et associé, — de l’absinthe, aiguisée de quelques gouttes d’une liqueur dont ce dernier portait toujours sur lui un flacon, — Jacob Risler n’y regardait pas de si près. Sous l’inspiration de l’Allemand, il jouait fréquemment aux montagnards des tours pendables, mystifications odieuses, ou plutôt crimes véritables. Une de leurs distractions favorites consistait à mettre le feu à des granges isolées, à des huttes en bois, abris de vachers. Ils se sauvaient alors à toutes jambes.

Dans le train, Hans avait signalé la dame au sac de cuir rouge, et il défia son camarade, moitié sérieusement, moitié en plaisantant, jusqu’à ce que celui-ci relevât le défi. Alors tout en ricanant il avait enlevé de son cou la cravate de soie noire qui devait servir à Jacob. Selon Hans Meister, il ne s’agissait nullement d’étrangler la voyageuse ; il suffisait de paralyser ses mouvements pendant quelques minutes. On a vu comment avait tourné cette « plaisanterie » sinistre, née d’un cerveau plus que malsain.

Les deux malfaiteurs, — ce nom ne leur convient-il pas, avec cette passion du mal qui les caractérisait ? — les deux malfaiteurs donc, gagnèrent à pied Argentat ; Jacob courant, Hans allongeant simplement la jambe pour le suivre. Là, ils prirent d’assaut l’impériale d’une voiture publique faisant le service entre Tulle et Aurillac. Quant au sac rouge, l’inventaire de son contenu avait été fait dès la première halte. Comme argent, il s’y trouvait à peine, — dans un porte-monnaie armorié, — de quoi payer les places de la voiture publique ; des papiers, des photographies d’enfants, quelques bouts de dentelles, un mouchoir brodé : voilà tout…

Risler eût volontiers jeté le sac et ce qu’il renfermait par-dessus une haie ; mais il fut séduit par l’odeur pénétrante du cuir de Russie ; il pensa à Grédel, qui aimait ce qui sent bon, et il dissimula le sac sous sa jaquette, bien serré sur la hanche gauche, avec l’intention de le garder pour sa femme. Aussi bien ne pourrait-il pas rentrer au pays les mains vides !