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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/751

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Le baronnet tenait à la main son portefeuille rebondi.

Jacob, entr’ouvrant les yeux, vit le portefeuille ; il eut un regard de convoitise, suivi d’un éblouissement : tout son sang afflua au cerveau : mais comme si ç’eut été sa dernière mauvaise pensée, il repoussa doucement le portefeuille, refusant le présent des billets que l’Anglais voulait lui donner.

— Je n’en suis pas digne, murmura-t-il. Jean me comprendra. Il est mon parent… mon héritier.

— Alors, je remetté à vô, Jean, les petites billets, fit sir William, passablement étonné.

Jean remercia, refusa, et dit à Maurice penché vers lui :

— Le baronnet croit à l’avalanche… Reconnaissez-vous dans ce blessé l’homme que je vous ai montré à Limoges ? Il n’y a pas d’avalanche : il y a eu un guet-apens, et c’est moi que Jacob Risler poursuit de sa haine… Sir William a failli payer pour moi.

Le blessé entendit ces derniers mots et, faisant un effort, il réussit à s’emparer de la main de Jean, toujours agenouillé. Il pressa cette main, et sur son visage se répandit l’expression d’une contrition profonde.

Maurice prit la parole.

— On ne peut pas laisser ce malheureux sans secours, dit-il. Si nous envoyions Méloir à Chamonix demander du monde pour le transporter ?

— Respect de vous, not’e maître, je ne veux point vous désobéir, et je vas y aller, mais il n’y a jamais eu vilain lieuve ni biau loup.

— Que veux-tu dire, Méloir ?

— Que je ne serais point bien aise de rencontrer ce particulier qu’était tout en haut de la côte au moment de l’éboulis. J’aimerais encore mieux les chiens enragés de Moulins que cet Allemand qui louche des deux yeux, le vilain singe…

— Aurais-tu peur, Méloir ?

— Oh ! que nenni, note’maître. Je n’ai pas peur d’un chrétien et Flohic, le failli merle, ne me ferait reculer brin ni miette. Mais je ne voudrais point me crocher d’avec ce païen-là, faut dire la vérité !

Pendant que le Breton manifestait sa crainte d’une mauvaise rencontre, Jacob se souleva un peu. Le baronnet lui versa quelques gouttes de cognac qu’il but avec plaisir, tandis que Maurice disposait une compresse autour de son front.

— Vous êtes bien honnêtes tous, dit le blessé ; et il ajouta d’une voix affaiblie : C’est bien beau l’honnêteté !