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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/754

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

souffrance, et beaucoup plus longtemps qu’on eut pu le croire tout d’abord ; mais son être moral n’avait jamais été aussi sain, aussi vigoureux.

Quel abîme que cette complexité de l’âme humaine ! À côté du bien, le mal y prend parfois un large développement ; et à côté du mal, il reste toujours un peu de place pour que le bien puisse y germer. Abîme insondable, au bord duquel vacille notre justice. Que vaut l’être qui a démérité lorsqu’il se reprend pour bien faire ? Faut-il le repousser, l’écraser sous le poids de son ignominie acquise ? La Miséricorde et la Charité, moins inflexibles que la Loi, ne le veulent pas. Généreusement, elles humilient le bon pour relever le méchant dans sa propre estime délabrée ; elles proclament une même origine, un lien de parenté entre toutes les créatures ; elles n’admettent ni tant d’orgueil et d’assurance du côté de la vertu, ni tant de honte et d’irréparable dégradation du côté du vice.

Mais pourquoi ces réflexions à propos d’un gredin n’ayant jamais rien eu d’intéressant dans sa vie ? Peut-être pour expliquer que ce n’était nullement par faiblesse ou entraînement, mais par un sentiment très raisonné et fort louable que Jean se consacrait à cet oncle si peu méritant.

Depuis trois semaines, Jacob Risler était cloué sur son lit. De tous les empressements de la première heure un seul persévérait, celui du jeune garçon qui avait tant souffert par la faute de ce triste parent. Sir William était parti à peu près guéri de ses vapeurs, et il avait emmené Maurice et Méloir. Maurice très heureux, grisé de la perspective enfin ouverte de devenir le gendre de sir William, Méloir non sans quelque regret d’abandonner son jeune protecteur…

Risler avait vu se fermer assez promptement sa blessure de la tête ; mais il gardait de sa chute une extrême lassitude générale, occasionnée sans doute par quelque lésion interne plus ou moins grave. Jean le soignait avec une affection filiale. Le jeune du Vergier en quittant ce camarade dévoué l’avait forcé d’accepter une somme plus que suffisante pour les déboursés que nécessiterait l’état du malade ; et il lui avait fait promettre, lorsque Jacob Risler serait en état de se passer de son assistance, de venir le retrouver à Caen, afin d’obtenir de ses parents la réalisation de leur promesse de l’aider à poursuivre ses études interrompues. C’eut été un grand bonheur pour Jean de retrouver le frère de Sylvia au milieu de sa famille ; mais le brave garçon possédait trop de bon sens pour ne pas comprendre qu’il acquerrait d’autant plus de mérite aux yeux des autres, qu’il aurait su par lui-même vaincre de plus nombreux obstacles.