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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Et il s’était remis courageusement au travail, donnant à la lecture tout le temps que ne réclamait pas son oncle. Il faisait froid dans le voisinage du Mont-Blanc et de ses glaciers, en cette fin de novembre. Aucune distraction ne venait donc du dehors le détourner de la tâche entreprise. En dressant seulement la tête, il évoquait un tableau d’un grandiose communicatif : des montagnes drapées dans leur manteau d’hermine, des sommets plus inaccessibles que jamais, un amoncellement gigantesque d’où les pics s’élançaient à des hauteurs vertigineuses, et parfois de grands oiseaux de proie planant silencieusement, et salissant de leur plumage fauve les perspectives immaculées.

Le rude Jacob s’étonnait de cette opiniâtreté qu’apportait Jean dans ses études. Il avait toujours et malgré lui respecté le caractère du jeune homme ; il en venait à l’aimer pour son esprit de suite, sa persévérance ; il aurait voulu avoir le droit d’être fier de lui ; voilà où en était l’abominable compagnon de Hans Meister.

De celui-là, aucune nouvelle : après avoir manqué son coup, il avait délogé sans tambour ni trompette, mais non sans musique, trouvant le moyen d’emporter son orgue.

— Que comptes-tu faire quand je pourrai marcher et quitter la Savoie ? demanda un jour Risler à son neveu. Tu ne peux pas toujours demeurer rivé à ton coquin d’oncle !…

— J’ai l’intention de reprendre mon petit commerce de livres.

— Ah ! oui, ce commerce… qui n’en est pas un ! murmura Jacob, se rappelant ce qu’il disait naguère à Jean pour le décider à venir se joindre à la troupe qu’il dirigeait.

— Vous trouvez que ce n’est pas un gagne-pain honnête ?

— Non pas ; j’ai changé d’idées là-dessus. Je pensais tantôt comme autrefois, au temps où je ne voulais pas te voir aider la petite danseuse à retrouver ses parents… car c’est bien toi qui as tout fait, n’est-ce pas ? Ah ! quand j’y pense ! dit Jacob d’une voix devenue rauque. Il y avait là une fortune à gagner pour tous les deux… C’est toi ! Dis-le !

— Nous en reparlerons plus tard, mon oncle, lorsque vous serez tout à fait bien, et en état d’entendre mes raisons.

— Oh ! je puis en parler à présent, dit Jacob subitement radouci. Tu as agi honnêtement, je le vois bien. Quand tu écriras au Bordelais, tu lui diras que je t’ai approuvé. Et plus tard, tu me feras faire ma paix avec ce Gascon