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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/779

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

pittoresque rocher de Monaco semble être un bloc détaché, le cap Martin, aux longues pentes revêtues d’oliviers séculaires sont les derniers escarpements de la grande chaîne qui s’étend au loin à travers l’Europe.

Lorsque nos colporteurs faisaient un trajet en bateau ils abordaient, après avoir pénétré profondément au fond de quelque port ouvert dans une brèche du littoral, entre deux promontoires chargés de vignes débordant de leurs étroits plateaux. Le village maritime, habité par des pêcheurs se profilait au bord de sa caranque sablonneuse, avec ses murailles blanches lézardées, ses toits rouges, ses hangars vermoulus à claire-voie ; les filets à raccommoder s’amoncelaient devant les seuils pour l’occupation des femmes et de vieillards ; un quai formé de pieux et de quelques planches indiquait un semblant de trafic, briques, tuiles, poteries, — avec un va-et-vient de femmes et de jeunes garçons travaillant jambes nues au déchargement d’une barque… Mais à des plans plus reculés, la campagne ouvrait ses perspectives ; une vallée apparaissait encombrée d’une véritable forêt d’oliviers, une autre vallée, plus fraîche, verte et embaumée de citronniers et d’orangers.

Et quand Jean et son oncle s’engageaient à pied sur ces sentiers à mi côte, tracés dans la roche friable par le pas des pêcheurs et des douaniers, l’impression était différente encore. C’étaient bien les mêmes promontoires de calcaire, de porphyre ou de granit, les mêmes anses dessinées en arc de cercle, la même végétation semi-tropicale, les même blanches bastides éparses entre les roches au milieu des oliviers et des vignes, les mêmes hauteurs sur leur droite où s’étageaient les pins-parasols et les chênes-verts, où des oliviers étaient retenus sur des terrasses bordées de pierres sèches ; mais la mer se montrait en bas scintillante à travers les déchirures des fourrés de hautes herbes, de fougères et d’épines sentant le miel. Ils faisaient place, en se garant, à des jeunes pêcheurs ployant sous une corbeille de sardines ruisselante, et courant pieds nus, le pantalon retroussé au-dessus du genou, vers le marché le plus proche.

Souvent, aux heures des repas, ils étaient hélés par les pêcheurs en train de confectionner la bouillabaisse, et invités à prendre leur part de la soupe de poisson. C’était un moment de repos très réjouissant. La marmite de terre bouillait, posée sur le sable au-dessus de deux ou trois pierres ; un mousse tranchait le pain en de larges assiettes, disposées sur le gouvernail pour recevoir le bouillon : c’est la manière de tremper cette soupe fortement safranée ; le poisson demeurait dans l’espace laissé vide au milieu de cette singulière jatte de bois, toute incrustée de petites coquilles rondes.