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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/790

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Mais Jean n’entendit même pas. Mettant bas son veston, il s’était élancé dans la mer au moment où l’Allemand, à bout de résistance, allait disparaître. En quelques brassées, Jean, fut auprès de lui, le saisit et le soutint, tandis qu’un bateau détaché de ceux dont la quille coupait le sable, — en rangs serrés — venait à point l’aider à compléter le sauvetage.

Hans Meister, hissé dans le bateau se secoua comme un barbet, souffla pour chasser l’eau salée des narines, s’essuya les yeux et aperçut, alors seulement, Jean. Furieux, il saisit une barre de gouvernail, et la souleva en criant : — Tarteiffle ! Tu étais avec eux ; tu vas payer pour tous !

Mais le batelier arracha à l’énergumène cette arme improvisée, et les « marias » se mirent à rire de plus belle.

Déjà le bateau touchait le sable. Jean sauta à terre, l’Allemand descendit dans la mer où il pateaugea, au milieu des risées, ayant de l’eau jusqu’aux genoux. Il était sauvé, mais sa colère grandissait. Le Tudesque menaçait furieusement tous ces mauvais plaisants qui l’entouraient en le traitant de « darnagas », et autres aménités dont est riche la langue provençale. Les gestes de Hans se faisaient de plus en plus désordonnés. Il vociférait en allemand tout ce qu’il savait de jurons formidables.

— Mais il est fou, ce saint homme ! observa un vieux pêcheur, coiffé du long bonnet de laine rouge des Catalans.

Fou ! c’était le mot de la situation. Hans Meister, qui ne fut oncques sain d’esprit, avait perdu complètement le peu de raison qui lui restait. Quand cela ? Peut-être dans sa fuite, après la criminelle tentative de la mer de Glace. Il s’arrêta un instant devant Jacob et ne le reconnut pas, bien qu’il eût reconnu Jean un moment auparavant lorsqu’il avait tenté de l’assommer.

Un brigadier des douanes le fit mener en lieu de sûreté, tandis qu’un mousse, pieds nus, le scapulaire rouge sur la poitrine découverte portait l’orgue derrière l’étranger, en jouant de l’instrument, émerveillé d’être devenu musicien rien qu’en tournant une manivelle.

Cependant les désœuvrés, à qui l’on avait trop tôt enlevé leur jouet, s’excitaient l’un l’autre pour faire un mauvais parti au Lorrain et à son neveu. Jacob Risler, affaissé, n’avait plus rien du lutteur d’autrefois, dont la crâne attitude et les biceps saillants imposaient le respect. Jean ne devait pas, semblait-il, peser bien lourd… Si l’on envoyait le « vieux » boire un coup à son tour à la grande tasse, histoire de voir comment le « jeune » s’y prendrait pour le repêcher ? La première poussée seule coûtait…

— Bagasse ! disait l’un qui trouvait l’entreprise hardie. Commence, toi…