Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

instituteurs primaires du Cantal. Plus rien des glacis de l’antique forteresse, ni fossés, ni chemins couverts. Dans quelques vieilles salles voûtées, une bibliothèque, un cabinet de physique, une collection des roches et minéraux d’Auvergne.

On escalada l’escalier de la tour. Ce qu’on voyait de la plate-forme dédommageait amplement des fatigues de l’ascension. Il y avait de quoi justifier le babil élogieux de la demoiselle d’Aurillac : au-dessous d’eux, la ville pittoresquement assise sur une légère élévation au milieu de la verdoyante vallée à laquelle la Jordanne donne son nom ; s’allongeant entre deux collines que partout ailleurs on appellerait des montagnes, elle baigne le pied de la ville. Tout en face, derrière la colline du Buis, se développait la ligne dentelée des sommités du Cantal ; un grand promontoire violacé se détachait du groupe central ; c’est la longue coulée basaltique que couronne le puy Violent.

Du côté opposé, à la base des montagnes envahie par une végétation d’un beau vert, tachetée de jaune paille, dans les champs nouvellement moissonnés, la plaine d’Arpajon, — qui est à Aurillac ce que, plus au nord, la riche Limagne est à Clermont-Ferrand.

Mademoiselle Victorine montra encore sur la gauche les coteaux boisés qui mettent à l’étroit le cours de la Cère, à l’endroit où cette rivière débouche dans la plaine d’Arpajon et, à droite, les forêts de Marmiesse et d’Ytrac, entamées partout par des défrichements, des métairies et des villas.

Jean admirait toutes ces belles perspectives que présentent seuls les pays de montagnes. Il montrait un air réfléchi et méditatif que ne possèdent point les enfants de son âge. C’est qu’il avait rapidement mûri : on sait sous quelles influences.

Soudain, il jeta un cri : il venait d’apercevoir, sur une des routes montant vers le nord, le char à bancs du père Abel. Il reconnut Bordelais la Rose à ne pouvoir s’y tromper. Mademoiselle Victorine, interpellée vivement, fut forcée d’avouer que c’était bien en effet la voiture de son père. Jean comprit tout de suite qu’il était joué, et, sans saluer — il allait tête nue — sans prendre congé, il se mit à dévaler la côte, avec la vélocité d’un gamin fautif poursuivi par un garde champêtre.

La voiture courait plus vite que lui ; essayer de l’atteindre semblait impossible ; mais ce qui n’était nullement impossible, c’était d’aller à Salers à pied — et le petit Parisien en prit le chemin.