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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/95

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Il monta jusqu’à la région où s’arrêtait la végétation des hêtres ; les sapins s’élevaient à trois cents mètres plus haut.

Ce qui avait paru une colline au jeune garçon était une suite de collines, profondément séparées entre elles. Il lui semblait toujours qu’il allait atteindre le dernier sommet. Cette illusion, fréquente dans les montagnes, se répétait sans le décourager : la roche qui servait d’assise, semblait-il, à quelques roches superposées, n’était que le rebord d’un plateau. Arrivé là, il voyait reculer tous les plans de la montagne ; il lui fallait bravement traverser le plateau, qui parfois présentait un versant intérieur lui faisant perdre une partie des efforts de son ascension.

Le soleil était haut déjà et Jean commençait à ressentir une extrême fatigue. Il s’assit sur une pierre, très abattu. De route, il n’y en avait pas, et pas le moindre hameau. Qui lui indiquerait son chemin ? qui viendrait à son secours ? s’il avait seulement un morceau de pain ! mais la faim ajoutait une angoisse à toutes ses autres angoisses. Il pensait que si son parent Risler avait voulu se débarrasser de lui, il y avait bien réussi… sans charger sa conscience d’un crime. Cette forêt du Falgoux, ces montagnes volcaniques, constituaient pour lui un monde inhabité où il se trouvait aussi seul qu’on peut l’être dans certaines contrées désertes du globe.

Pendant qu’il s’abandonnait à ses pénibles réflexions, ses yeux toujours en mouvement, découvrirent sur une des plus hautes pentes, à quinze cents ou deux mille mètres à sa droite, des taches rousses qui se déplaçaient. L’espoir lui revint. Ce devait être un troupeau de vaches. Jean ne se trompait pas. En regardant mieux, il distingua, au milieu d’un étroit plateau, un chalet de berger grossièrement édifié.

Cette découverte lui donna des forces nouvelles. Il se remit en route.

Comme il approchait du revers septentrional du puy où paissaient les vaches rousses, il perdit de vue troupeau et chalet. Mais, bientôt, il entendit le tintement des clochettes rustiques que les plus âgés de ces animaux portaient au cou. Il pressa le pas. Un dernier effort l’amena sur le plateau herbeux, au fond duquel le chalet entrevu se dissimulait sous un bouquet d’arbres. Non loin de lui, des vaches, couchées dans l’herbe grasse et fleurie, rompaient le silence par un bruit de lente mastication : Jean venait de pénétrer dans une fumade : c’est ainsi que l’on nomme en Auvergne la portion d’un pâturage engraissé par les vaches, qui y passent la nuit en plein air ; le reste du pâturage constitue l’aigade.

Jean fut aperçu par le pâtre, qui le salua d’une clameur rythmée — stridente