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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/99

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Il n’y en a pas de route ; tu te perdrais encore avant de rencontrer le premier village.

— N’importe ! j’essayerai. Pensez donc, mon brave Pierre, M. Bordelais la Rose qui me croit à Aurillac et qui ne saura pas ce que je suis devenu !… S’il est de retour à Aurillac, comme c’est probable, il doit s’en faire du mauvais sang !

— Alors tu voudrais partir… à toute force ? Ce n’est pas possible. Écoute-moi : Jean, mon boutilier, — il s’appelle Jean comme toi, — est allé à Dienne pour acheter de la craie rouge qui sert à colorer la croûte de nos fromages : je n’en avais plus une pincée. Dienne c’est près de Murat… Il sera de retour dans trois jours et c’est lui qui te ramènera. En attendant tu m’aideras, si tu veux, pour te désennuyer ; c’est très amusant… quand c’est nouveau. Le matin et le soir les vaches s’approchent d’elles-mêmes pour se faire traire ; tu verras les petits veaux comme ils tettent bien ! Nous faisons du fromage et du beurre, surtout du fromage, de gros fromages ; tu sais bien les fromages de « tomes » ? Eh bien, c’est d’ici… Tu en as mangé bien sûr ! Tu ne te doutais pas que tu en verrais les moules un jour… Je t’apprendrai à cailler le lait aussitôt la traite faite…

— Comment donc ? hasarda Jean.

— Mais avec de la présure. Bon ! je vois que ça t’amuse déjà…

— Oh ! non… il faut que je parte. Alors c’est pour faire les fromages ?

— Tout juste, mon petit. On brise le caillé, on sépare le petit-lait avec cet outil de bois que tu vois là, et on tourne doucement, toujours dans le même sens ; ensuite on pétrit la « tome », on lui laisse le temps de fermenter, on la sale, et il n’y a plus qu’à donner la forme du fromage et à mettre sous le pressoir. Le pressoir, tu le vois dans ce coin. Il faut quelques jours pour que le fromage devienne ferme… Au sortir du pressoir, le fromage est transporté dans le caveau, là-dessous.

Le buronnier désigna le parquet, et Jean comprit pourquoi une aussi pauvre habitation possédait un parquet en planches. Mais là s’arrêtait tout le luxe. Jean jeta un coup d’oeil autour de lui et fut impressionné désagréablement. L’unique pièce du buron n’était autre chose qu’un atelier, avec un matériel encombrant de barattes, de seaux de bois, d’auges à pétrir la pâte du fromage. Le manteau d’une cheminée d’où descendaient des crochets pour suspendre la marmite, occupait le centre de la paroi maçonnée du buron. De chaque côté de la cheminée se groupaient dans un complet désordre les menus ustensiles, les choses utiles, les provisions, le sel et les gousses d’ail, des légumes,