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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

une lanterne, quelques grossières poteries, des bouteilles vides, plusieurs pièces de vêtements ; tout cela accroché à des clous, jeté sur une étagère ou enfoncé dans des trous carrés ménagés dans le mur. Une planche, suspendue par des cordes à la poutre principale, recevait l’excédent des objets encombrants. Pittoresque dans le paysage, le buron perdait beaucoup à être vu de près.

— Je veux m’en aller, dit Jean lorsqu’il eut fini son examen.

— Mon petit bourgeois, vous ne vous plaisez donc pas ici ? Je vois ça, dit Pierre Villamus d’un ton doucement moqueur. Oui, ça se comprend ! ça doit sentir l’aigre… Voyez-vous, ça provient du petit-lait que nous donnons à nos cochons — sauf votre respect, mon petit monsieur de Paris. Eh bien, je vais voir ce que je puis faire pour votre satisfaction… Tiens-toi tranquille, mon garçon, je ne vais pas très loin…

Le buronnier sortit, et Jean le suivit sur le seuil. Il le vit se diriger derrière le buron, gravir la paroi rocheuse, presque perpendiculaire, et s’enfoncer dans la sapinière qui la couronnait. Un moment après, il entendit ce chant d’appel dont il avait été salué à son arrivée. Une voix lointaine y répondit sur la même gamme. Puis des pourparlers parurent s’établir. Au bout d’un quart d’heure, maître Pierre revint, et signifia résolument au jeune garçon qu’il ne fallait pas songer à partir ce même jour pour Salers : il n’avait pu obtenir un guide dans le voisinage.

— Ainsi, ajouta le buronnier, c’est entendu : pas avant trois jours, au retour de Jean. Tu verras téter les veaux, et je te ferai ce soir une bonne soupe à l’oignon.

— Comme M. Bordelais va être chagrin ! se borna à répondre Jean en baissant la tête.

Il alla s’asseoir tristement dans un coin.

Au coucher du soleil, Jean fut régalé du spectacle qui lui avait été promis. — Il vit les vaches revenir vers le buron incommodées par le poids de leur lait. Le buronnier les appelait chacune à leur tour, par leur nom, pour les traire ; il laissait un moment téter leur veau ; puis le veau attaché à l’une des jambes de devant de la mère, à qui il donnait une poignée de sel, il se mettait à la traire sans aucune difficulté — immobile et ruminante.

Ce soir-là, après la bonne soupe à l’oignon promise, un coffre de sapin garni de paille servit de couche à Jean, qui ne s’endormit qu’après avoir longuement réfléchi. Il envisageait combien il est difficile de rendre son éclat à la vérité obscurcie par le mensonge. Il prit néanmoins l’ardente résolution d’aller jusqu’au bout dans la tâche qu’il avait entreprise.