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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/90

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me causaient mes rêves (ils étaient à peine moins terribles que ceux que j’ai eus plus tard sous l’influence de l’opium et que j’aurai à raconter), mon sommeil n’était jamais ce qu’on appelle un sommeil de chien ; je m’entendais gémir, et m’éveillais souvent au son de ma propre voix[1]. »

Le matin, il déjeunait des miettes de Brunell, quand Brunell laissait des miettes de son petit pain ; après quoi il fallait sortir et ne rentrer que le soir, les affaires du maître ne souffrant point de témoins. Par la pluie ou la bise, la neige ou le brouillard, il allait, harassé, rongé de faim, connu des autres « péripatéticiens » mâles ou femelles, de son quartier, comme aussi de la police, qui le rudoyait quand il se laissait tomber d’épuisement sur les marches d’une maison. Les parias s’attirent entre eux. Il fit des connaissances infâmes, accompagna les filles dans leurs rondes nocturnes, et n’en rougit jamais. « Ces malheureuses femmes, dit-il, n’étaient pour moi que des sœurs d’infortune. » Et des sœurs auxquelles il trouvait plus de cœur qu’à beaucoup d’autres, qui ne manquaient ni d’une certaine générosité ni d’un certain genre de fidélité, et dont il admirait le courage parce qu’elles le défendaient contre la police. Il ne voyait pas de raison de les fuir : « À aucune époque de ma vie, je n’ai consenti à me tenir pour souillé par l’approche ou le contact d’une créature humaine quelconque. Je ne puis pas admettre, je ne veux pas croire, que des êtres ayant forme d’homme ou de femme soient des parias à ce point réprouvés et rejetés, que nous emportions une tache d’un simple entretien avec eux[2]. »

Anne, la fameuse Anne des Confessions, était une de

  1. Confessions, etc.
  2. Ibid.