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LE SYMBOLISME

venir de sa fougueuse jeunesse et rêvait de recommencer sa vie littéraire, il se réjouissait d’avoir interrompu son œuvre poétique parce que, disait-il, « c’était mal ». Les admirateurs de ce trop jeune poète ont beaucoup disserté sur le mérite de ses poèmes. Ils se sont ingéniés à y découvrir des beautés dont quelques-unes méritent l’attention, mais dont l’origine expliquée par Rimbaud démontre le caractère purement morbide. Dans Une Saison en enfer, qui est en effet une sorte d’autobiographie psychologique, Rimbaud fait l’analyse de son propre talent et retrace avec une précision qui gêne ses panégyristes les stades de son évolution poétique. Dans cette page qu’il intitule l’Alchimie du Verbe, il confesse l’histoire d’une de ses folies et donne la clef de son délire poétique. Voici dans quels termes il en décrit la première phase : « Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie modernes.

» J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires, la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs. Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, déplacement de races et de continents. Je croyais à tous les enchantements. J’inventai la couleur des voyelles : A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

» Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits ; je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. »

Et Rimbaud cite comme exemple de cette folie le poème qui commence ainsi :