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Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/376

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LE SYMBOLISME

Vie, tel doit être le culte du poète. S’il a « conduit quelques symbolistes vers les solutions extrêmes de l’anarchie et du socialisme [1] », il a fait des poètes des modernistes qui vivent avec joie l’existence et qui la chante en vers ardents et multiformes : « Les symbolistes ont restauré le haut temple des primes dédicaces d’où l’imbécillité parnassienne s’était égarée vers un culte fétichiste de la forme… [2]. A la forme fixe, ils ont opposé la forme mobile, à l’attitude le geste, à la statique le mouvement, à la mort… la Vie [3]. »

De quelle façon le poète va-t-il exprimer sa passion de la vie ? A l’exemple des réalistes se confinera-t-il dans la peinture du mal physique ? Non. Il parlera de celui par qui l’humanité vit, de ce par quoi elle manifeste sa vie. Il parlera de l’Amour, il parlera de Dieu, il parlera de lui. « Nous ne percevons, il est vrai, que de façon bien imparfaite les monstrueuses souffrances encloses en ces deux mots : la soif d’éternité, le besoin d’infini ; ces expressions ne nous disent plus grand’chose… C’est ici que le poète intervient à propos ; crispé dans sa veille atroce, il lutte, se pâme, se redresse, maudit, adore, hurle, s’affale résigné et devant ce spectacle un frisson (le premier) de la terreur inconnue de jadis étreint le moderne élyséen [4]. » Le drame de cette individualité est proprement l’objet du symbole. Qu’elle soit émue d’inquiétude philosophique ou fortement assaillie par le flot des phénomènes extérieurs la conscience du poète est le fond même de la poésie : « La doctrine égoïste qui fait du moi seul existant le créateur sensitif de l’univers — doctrine que nous accepterons (et de grand cœur, ma foi !) sans discussion — est illogique si elle n’assigne à son art l’unique œuvre de traduire ce moi synthèse inconsciente, en symboles qui expriment ce moi dans son harmonieuse conscience. La poésie

  1. Mercure de France, octobre 1897.
  2. Le Plus grand poète.
  3. La Désespérance du Parnasse, Mercure de France, mars 1899.
  4. Méprise. Entretiens politiques et littéraires, 1890, t. I, p. 233.