Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/238

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
235
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

depuis qu’elle est en république ? Non, au contraire. Eh bien, alors ?

Et les abus ? Il y en a partout.

Ce qu’il faut, c’est une bonne constitution libérale, et un homme à la tête qui gouvernera peu et qui sera comme une belle enseigne, qui n’augmente pas la valeur du magasin, mais qui inspire la confiance et est agréable à l’œil. Or, un président ne peut être cela.

Mais assez pour ce soir ; une autre fois, quand j’en saurai davantage, j’en dirai plus aussi.


Dimanche 30 juillet. — Rien de plus triste que Berlin. La ville porte un cachet de simplicité, de simplicité laide, disgracieuse. Tous ces innombrables monuments qui encombrent les ponts, les rues et les jardins sont mal placés et ont l’air bête. Berlin a l’air d’un tableau à horloge, où à certains moments les militaires sortent de la caserne, les bateliers rament, les dames en chapeaux-capotes passent, tenant par la main de vilains enfants.

À la veille d’entrer en Russie, de rester sans ma tante, sans maman, je faiblis et j’ai peur. La peine que je cause à ma tante me chagrine.

Le procès, l’incertitude, tout cela… et puis, et puis, je ne sais pas, mais je crains que je ne change rien !

L’idée de recommencer après mon retour la même vie qu’avant, cette fois sans espoir de changement, sans avoir cette « Russie » qui me consolait de tout et me donnait quelque force… Mon Dieu, ayez pitié de moi, voyez l’état de mon âme et soyez bon.

Dans deux heures nous quittons Berlin, demain je serai en Russie. Eh bien, non, je ne faiblis pas, je suis forte… Seulement, si j’allais en vain ? Voilà qui est mal. On ne doit pas désespérer d’avance.