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JOURNAL

Ah ! si quelqu’un pouvait savoir ce que je sens !


Lundi 31 juillet. — Hier, ma tante, moi, Chocolat et Amalia, sommes arrivés à la gare, à dix heures. J’étais passablement accablée, mais la vue d’un coupé grand et confortable comme une petite chambre me ranima beaucoup, d’autant plus que le wagon était éclairé par le gaz, et que nous étions sûres d’être seules. Le compartiment n’ayant que trois places, les domestiques se placèrent à côté. J’aurais bien voulu, à la veille d’une séparation, causer avec ma tante, mais je ne suis pas expansive, quand je sens quelque tendresse sérieuse, et ma tante se taisait, craignant de me déplaire ou de m’impatienter en me parlant. De sorte que, bon gré mal gré, je restai absorbée par « Un Mariage dans le Monde » d’Octave Feuillet. Salutaire ouvrage, par ma foi ! qui m’a donné la plus profonde horreur pour l’adultère et pour toutes ses saletés…

Sur ces sages réflexions, je me suis endormie pour ne me réveiller qu’à trois heures de la frontière, à Eydtkühnen, où nous sommes arrivées vers quatre heures.

La campagne est plate, les arbres touffus et verts, mais les feuilles, tout en étant fraîches et vigoureuses, donnent une certaine idée de tristesse après la verdure grasse et riche du Midi.

On nous conduisit à une auberge qui se nomme Hôtel de Russie, et nous nous installâmes dans deux petites chambres aux plafonds blanchis à la chaux, aux plan-