Aller au contenu

Page:Beecher Stowe - La fiancée du ministre, 1864.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

George quoi qu’il en soit, prenait peu de souci de l’argent. Il en gagnait assez pour faire vivre confortablement sa mère, et cela lui suffisait jusqu’au jour où il devint amoureux de Katy Stephens. Il la vit à travers ce prisme que de tels hommes portent dans leur âme, et ce ne fut plus pour lui une mortelle, mais une créature glorieuse et transfigurée, un objet d’étonnement et de vénération. Il en avait réellement peur ; son gant, son soulier, son fil, son aiguille, son dé, le ruban de son chapeau, en un mot, tout ce qu’elle portait ou touchait lui semblait investi d’un charme mystérieux. Il s’étonnait de l’impudence des hommes qui osaient s’approcher d’elle, lui parler, l’inviter à danser d’un air si assuré. Il souhaitait maintenant d’être riche ; il rêvait des expéditions impossibles à la suite desquelles il reviendrait millionnaire et déposerait sa fortune aux pieds de Katy, et quand un jour miss Persimmon, la couturière ambulante du pays, en faisant une robe à sa mère, raconta comment le capitaine Blatherem avait envoyé à Katy Stephens « le plus splendide cachemire de l’Inde qu’on eût jamais vu, » il se sentit prêt à s’arracher les cheveux en songeant à sa pauvreté. Cependant, même à cette heure de tentation, il ne regretta pas d’avoir refusé de prendre une part dans le vaisseau qui avait fait la fortune du capitaine Blatherem, car il savait que chacune de ses planches était saturée des sueurs d’une agonie humaine. L’amour est un sacrement naturel, et si jamais un jeune homme rend grâce à Dieu d’avoir préservé ce qu’il y avait de noble et de généreux dans son cœur, c’est au moment d’offrir ce cœur à la femme qu’il aime. Néanmoins l’histoire du châle de l’Inde lui fit passer plus d’une nuit sans sommeil, et ce ne fut que lorsque, dans une conversation confidentielle avec la mère de Katy, miss Dolly eût appris que celle-ci avait repoussé le châle avec indignation et déclaré le capitaine un fat ridicule, que Georges reprit courage. Il ne voulait pas, se dit-il, se présenter maintenant qu’il n’avait rien à offrir. Non, il laisserait Katy libre de mieux faire, si elle trouvait ; pour lui, il tenterait la fortune, et si à son retour Katy était encore libre, il mettrait tout à ses pieds.