Page:Beecher Stowe - La fiancée du ministre, 1864.djvu/15

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tageux de son pays est la traite des nègres ? Ainsi en était-il à Newport en ce temps-là. Georges fit son premier voyage à bord d’un négrier ; il souhaita plus d’une fois de mourir avant d’être de retour, et depuis ce temps il semblait toujours comme hors de lui lorsqu’on venait à aborder ce sujet. Il déclarait que l’or ainsi acquis était distillé dans le sang humain, les larmes des mères, les gémissements de créatures humaines étouffées, suffoquées, agonisantes, et que cet or souillerait et brûlerait l’âme de celui qui le toucherait ; il parlait en un mot comme les hommes de cœur, les rêveurs sont sujets à parler de ce que les gens respectables se permettent quelquefois. Que voulez-vous ? personne ne lui avait appris qu’un négrier suivi d’une procession de requins alléchés, est une institution missionnaire, au moyen de laquelle des païens entassés sont transportés en Amérique pour y jouir des lumières de l’Évangile.

Ainsi donc, bien que Georges fût reconnu pour un brave garçon, aussi honnête que le cadran solaire, il laissa échapper tant d’occasions de s’enrichir qu’il compromit sérieusement sa réputation auprès des gens habiles. Il était généreux jusqu’à la prodigalité ; il persistait à traiter comme un frère tout pauvre diable qu’il rencontrait sur son chemin dans n’importe quel port étranger ; il se refusait absolument à voler ou à tromper les sauvages sur n’importe quelle côte et de quelque couleur que fût leur peau, et s’efforçait encore de rompre tous les marchés dans lesquels ses subordonnés prétendaient abuser de l’ignorance ou de la faiblesse de leurs semblables. Il fit ainsi voyage sur voyage sans rapporter autre chose que son salaire et la réputation, parmi les armateurs, d’une probité incorruptible.

On disait à la vérité qu’il emportait des livres à bord ; qu’il étudiait, et écrivait, sur tous les pays qu’il visitait, des observations qui, à ce qu’avait dit le ministre Smith à miss Dolly Persimmon, lui feraient grand honneur si on les imprimait dans un livre ; mais on ne les imprimait pas, et comme disait miss Dolly, tout cela n’arrivait jamais à rien ; or, arriver à quelque chose signifiait, dans la pensée de cette dame, arriver à un rapport direct et positif avec le pot-au-feu.