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Page:Beecher Stowe - La fiancée du ministre, 1864.djvu/28

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un élu, prêt à donner non-seulement sa vie mortelle, mais encore jusqu’à son éternité, dans l’espoir incertain de combler avec une âme immortelle le gouffre que franchiraient les élus pour arriver à un état de splendeur et de délices dont l’amplitude réduirait la misère des âmes perdues à un infinitésimal.

Il ne nous appartient pas de décider ici du plus ou moins de vérité de ces systèmes de philosophie théologique qui semblent avoir été, pendant un grand nombre d’années, l’aliment principal de l’activité des esprits dans la Nouvelle-Angleterre ; mais comme développements psychologiques, ils sont dignes du plus vif intérêt. Celui qui ne comprend pas la grandeur de ces efforts de l’âme méconnaît une des plus nobles prérogatives de l’humanité.

Il n’y a pas d’artiste réel ni de véritable philosophe qui n’ait été parfois prêt à se sacrifier complètement pour la gloire de l’invisible. Il y a eu des peintres qui se seraient fait crucifier pour démontrer l’action d’un muscle, des chimistes qui eussent consenti à être eux-mêmes fondus dans leur creuset, si une nouvelle découverte eût dû surgir de leur fumée. Des personnes même simplement douées d’une vive sensibilité artistique sont parfois ravies, par la puissance de la musique, de la peinture ou de la poésie, dans une extase momentanée pendant laquelle elles seraient prêtes à immoler tout leur être devant l’autel d’une beauté invisible. Ces rudes théologiens de la Nouvelle-Angleterre étaient les poètes de la philosophie métaphysique ; ils bâtissaient des systèmes avec une ferveur artistique et sentaient leur personnalité s’anéantir à mesure qu’ils s’élevaient dans les hautes régions de la pensée. Mais le terrain que foulent avec une sublime assurance les théoriciens et les philosophes, la femme n’y marche qu’avec des pieds ensanglantés ; car elle s’efforce sans cesse de réaliser les abstractions ; où le philosophe se contente de penser, elle sent.

Il était aisé pour Marie de croire à la nécessité du renoncement à soi-même, car elle était née avec la vocation du martyre. Aussi quand on lui parlait de souffrir des peines éternelles pour la gloire de Dieu et le bien de l’humanité,