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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/112

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LA FEMME DU DOCTEUR.

mais elle ôterait son chapeau, laisserait tomber ses cheveux, et en entortillerait les longues tresses autour de ses doigts effilés… ainsi… (elle s’arrêtait pour se regarder dans la glace en exécutant le geste) et s’écrierait : « Non ! je ne suis pas folle ; ces cheveux que j’arrache sont bien à moi ! » et le tour serait fait. Le directeur s’écrierait : « Madame, je ne m’attendais pas à un talent pareil. Excusez mon émotion ; mais, en vérité, depuis Mlle O’Neil, je ne me rappelle pas avoir entendu quelque chose de comparable à la façon dont vous avez dit cette phrase. Venez demain au soir ; vous remplirez le rôle de Constance. Désirez-vous une répétition ? Non, n’est-ce pas ? Vous savez par cœur le rôle tout entier. Je prendrai la liberté de vous offrir cinquante livres par soirée pour commencer, et je mettrai une de mes voitures à votre disposition. » Isabel avait lu maints romans dans lesquels de jeunes héroïnes timides essayent leur talent d’actrice, mais jamais elle n’avait lu qu’une héroïne douée de dispositions héroïques fût obligée à une simple répétition pour effacer la gloire de Mme Siddons.

Parfois Mlle Sleaford pensait que sa destinée, — elle s’attachait volontiers à l’idée qu’elle avait une destinée, — l’appelait à être poète, poète lauréat couronné. Ceci lui souriait par-dessus tout ; et le soir, pendant qu’elle surveillait les cahiers des enfants et risquait un nouveau D majuscule afin de jeter quelque variété dans les travaux du lendemain, elle rapprochait d’elle les bougies, prenait une pose mélancolique, trempait sa plume dans l’encre, et commençait à tracer quelque plainte lamentable sur la désolation de sa vie, ou quelque invocation nébuleuse au prince inconnu. Elle terminait rarement la plainte ou l’invocation, car il se