Aller au contenu

Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
124
LA FEMME DU DOCTEUR.

pour tenter le lecteur ! Voici quelque chose de coquet :

Comme un tragédien dans un drame, pareil
Au spectre troublant dans un rêve
Le doux et bienfaisant et paisible sommeil,
Pareil à la barque qu’enlève
Le fleuve et qui s’en va seule, sans gouvernail,
Au lit de l’onde abandonnée,
Tel je suis, Ida Lee, ô cher épouvantail
De la paix qui me fut donnée,
Depuis que ton cœur faux m’a délaissé !… J’ai peur
Quand j’entends un éclat de rire ;
Tout m’étonne et me semble impossible et trompeur,
Et je regarde sans rien dire,
Étrangement surpris, les pas, le bruit, la voix
De la foule agitée et fausse,
Jusqu’au moment heureux, Ida Lee, où je crois
Sommeiller au frais dans ma fosse.

Penser que Roland perd son temps à écrire une chose pareille ! Et voici sa lettre, le pauvre garçon, sa lettre aussi longue que décousue, — dans laquelle il me dit comment il a écrit ces vers, et comment à les écrire il a trouvé une espèce de consolation, — une soupape de sûreté pour le trop-plein de colère folle contre le monde, qui ne s’accorde pas précisément avec les rêves philanthropiques d’un jeune homme possesseur de quinze mille livres sterling de rente et de tout son temps. S’il survenait quelque héritier légitime, en la personne d’un des gardes-chasse de Roland, qui dépouillât mon jeune ami comme faux héritier et le mît à la porte avec armes et bagages, et ceux-ci en très-petite quantité, comme cela se passe dans ces délicieux mélodrames qui représentent si exactement l’image de la nature, quel bienfait pour l’auteur des Rêves d’un Étranger ! S’il pouvait ne pas avoir en poche la moindre pièce