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LA FEMME DU DOCTEUR.

aimer et demandait chaque soir pour elle, en faisant ses prières, toutes les bénédictions du ciel.

Isabel profita beaucoup de cette prosaïque fréquentation sous le rapport de l’accomplissement de ses devoirs quotidiens. Elle n’était plus la jeune fille sentimentale dont l’occupation la plus sérieuse consistait à se bercer dans un fauteuil de jardin en lisant des romans, et qui se laissait aller volontiers au moindre prétexte à des enthousiasmes subits pour George Gordon, lord Byron, et Napoléon. Elle avait tâté George sur les deux sujets et avait reconnu qu’il manquait absolument de culte pour l’un et l’autre de ses héros favoris. En causant avec lui, pendant les soirées d’automne, tout en se promenant dans les prairies de Conventford, pendant que les orphelines jouaient derrière eux et couraient en avant, Mlle Sleaford avait mesuré et pesé le talent de conversation de son fiancé. Elle reconnut qu’il ne connaissait et ne désirait connaître rien d’Édith Dombey ou d’Ernest Maltravers, et qu’il regardait les poèmes de Byron et de Shelley comme des compositions immorales et blasphématoires dont les titres mêmes devaient être inconnus à une jeune femme honnête. Isabel fut donc obligée de garder le silence sur les rêveries brillantes de sa jeunesse et de parler à Gilbert des choses à sa portée.

Il avait lu les romans de Cooper et quelques-uns de Lever ; il connaissait Walter Scott et Shakespeare, et il avait la conviction qu’on ne saurait trop louer ces derniers écrivains. Mais quand Isabel commença à parler d’Edgar Ravenswood et de Lucie avec un visage tout bouleversé par l’émotion, le jeune médecin ne put que regarder sa fiancée avec étonnement.

Oh ! s’il avait au moins ressemblé à Edgar Ra-