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LA FEMME DU DOCTEUR

tinua Lansdell. Alors il fallait qu’elles vinssent lui rendre visite à Mordred. Et puisqu’elles semblaient avoir une si grande amitié pour Mme Gilbert, elles ne pouvaient faire autrement que de l’amener avec elles. En cet instant, l’une des orphelines remplissait le rôle de Laocoon.

Les petites filles avaient beaucoup de choses à répondre. Oui, elles seraient très-heureuses d’aller au Prieuré de Mordred ; c’était très-joli ; leur oncle Charles leur avait fait voir la maison pendant une excursion. Ce serait une charmante partie, surtout si l’on dînait sur l’herbe, comme disait M. Lansdell. Les enfants étaient prêtes à tout, dès qu’il s’agissait d’un congé. Quant à Isabel, elle rougit et répondit : « Merci ! » quand Roland l’invita à visiter Mordred avec ses anciennes élèves. Elle ne trouvait rien à dire à cet homme séduisant et majestueux qui réunissait dans sa personne tous les attributs de ses héros favoris.

Combien de fois cette jeune rêveuse n’avait-elle pas évoqué une situation identique et ne s’était-elle pas représentée causant avec une aisance railleuse, demi-méprisante, demi-enjouée ; tenant tête à un marquis fou d’amour et se jouant d’un duc aussi facilement que Marie, reine d’Écosse, s’était jouée du présomptueux Chastelar ! Et maintenant que le rêve était réalisé, maintenant que cette magnifique créature byronienne était à ses côtés, lui parlant, essayant de la faire répondre, la regardant à travers les cils soyeux qui voilaient ses regards, — elle était anéantie et muette ; c’était une pensionnaire éperdue et balbutiante ; une Paméla stupéfaite et ahurie par le premier compliment de son aristocratique tyran.

Elle avait la pénible conscience de sa propre infé-