Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
LA FEMME DU DOCTEUR.

tendu dire à Raymond qu’il passerait l’hiver à Paris ? Mme Gilbert compta les mois sur ses doigts. Le mois de novembre était-ce l’hiver ? En ce cas, Lansdell serait parti avant quatre mois : quelle apparence de le revoir, quelle apparence qu’une créature aussi infime qu’elle eût des rapports avec cet être supérieur et les gens de sa sphère ? Jamais, non, jamais, jusqu’à ce moment, elle n’avait compris la laideur et l’horreur de son existence. Elle n’avait jamais si bien vu le misérable petit parloir et ses deux petites étagères à droite de la cheminée, ses coquillages, ses plumes de faisan, les bouteilles d’encre à un sou, et les notes malpropres des fournisseurs attendant sur la tablette le jour du payement. Elle s’assit dans cette pièce, éclairée par le soleil de juillet qui perçait le volet peint en jaune pâle. Elle pensa à sa vie d’une laideur si misérable et la compara à celle de Gwendoline à Lowlands. Elle se révolta contre les volontés de la Providence qui n’avait pas fait d’elle la fille d’un comte. Puis elle se cacha le visage dans ses mains pour ne pas voir l’atroce vulgarité de cet odieux parloir ; — un parloir ! — mot inconnu dans ces brillantes régions auxquelles elle rêvait sans cesse, — et elle pensa à Lansdell.

Elle pensait à lui, et à ce que sa vie aurait pu être… si…

Si quoi ?… Si l’une des cent visions différentes, toutes également puériles et impossibles, avait pu être réalisée ? Si elle avait été la fille d’un comte comme Gwendoline ! Si elle avait été une grande actrice et que Lansdell fût tombé amoureux d’elle en la voyant, sur la scène ! Si elle l’avait rencontré dans Walworth Road deux ou trois ans auparavant. Elle se repré-