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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/253

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LA FEMME DU DOCTEUR

les grandes occasions. Et maintenant que tout était prêt, le temps entre le samedi soir et le mardi matin s’étendait devant eux, — désert monotone qu’il fallait traverser le plus commodément qu’on pourrait. Je dois avouer qu’Isabel n’entendit pas deux paroles du sermon du recteur, le dimanche matin. Tout le temps qu’elle passa à l’église, elle pensa au Prieuré de Mordred et aux jolies choses que lui dirait Lansdell et aux réponses qu’elle ferait. Comme à son ordinaire, elle se représentait en imagination les choses à venir.

Et pendant ce dimanche d’été, ce jour béni de calme et de repos, où la faux du moissonneur était inactive dans les champs, et pendant lequel la roue immobile du moulin du Roc de Thurston ne faisait entendre que le bruit des gouttes d’eau tombant une à une de ses aubes ruisselantes, Roland resta dans la bibliothèque du Prieuré de Mordred, lisant un peu, écrivant un peu, fumant et réfléchissant beaucoup. À quelle occupation se livrerait-il ? C’était là la grande question que le jeune homme était souvent mis en demeure de résoudre. Il resterait à Mordred jusqu’à ce que l’ennui l’en chassât, puis il partirait pour Paris. Une fois las de cette ville brillante dont les plus grands plaisirs lui étaient familiers depuis longtemps, il se rendrait sur le Rhin, dans ce pays rebattu, au milieu de visages et de personnages immuables. Dix années forment une longue période de temps quand on a quinze mille livres sterling de revenu et rien de particulier à faire de sa personne ou de son argent. Roland s’était abreuvé de tous les plaisirs de l’Europe civilisée, et les distractions qui paraissaient si capiteuses pour les autres hommes lui produisaient l’effet du champagne qui a perdu son bouquet et sa