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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/255

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LA FEMME DU DOCTEUR

tique et majestueuse clôture s’élevait le clocher carré de l’église du village, qui avait l’âge de la partie la plus ancienne du Prieuré de Mordred. Les cloches sonnaient dans le clocher en ce moment, et le son en arrivait jusqu’à Lansdell, assis près de la fenêtre ouverte.

— Je n’ai encore que trente ans, — pensait le jeune homme, — mais comme il me semble qu’il y a longtemps depuis l’époque où je m’asseyais sur les genoux de ma mère dans notre vieille stalle sombre et triste, là-bas, en écoutant le murmure de la voix du desservant qui venait se briser sur le dais au-dessus de nous. Trente ans !… Trente années inutiles, ennuyeuses, vides. Il n’y a pas un moissonneur dans les champs, pas un villageois qui gagne ses six pence par jour à mener paître les oies, qui ne soit plus utile que moi à son prochain. Et, cependant, au pis-aller, je pourrais faire du commerce. Enfin ! je m’efforce de ne pas faire le mal… Dieu sait combien je m’applique à ne pas commettre le mal.

Par une singulière transition d’idées, en disant ces mots, Lansdell pensa à la rencontre fortuite qu’il avait faite de la femme du docteur sous l’épais feuillage du chêne de lord Thurston.

— C’est une jolie créature, — pensait-il, — une enfant jolie, inexpérimentée, timide. C’est une de ces femmes qu’un débauché ou un roué essayerait de pervertir ou de séduire. Il y a quelque chose de vraiment séduisant dans la façon enthousiaste avec laquelle elle parle de Shelley et de Byron. — « Quel dommage qu’il se soit noyé ! » et : — « Oh ! s’il s’était battu pour la Grèce et qu’il eût été victorieux comme Léonidas, vous savez, » — pauvre enfant, que sait-elle de Léonidas ?