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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/48

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LA FEMME DU DOCTEUR.

Enfin la salade fut triturée à point. On versa dans les longs verres étroits l’ale « à six pence, » comme l’appelait Horace, et grâce à la nature légère et mousseuse de ce breuvage on aurait pu le prendre pour du Champagne. George avait soupé en cérémonie à Graybridge ; il savait ce que c’est que le vrai champagne et les entremets et les sucreries, mais la conversation qu’on avait tenue dans ces occasions ne valait pas le bavardage de ce modeste souper, pour lequel il n’y avait pas deux fourchettes qui allassent ensemble et un verre qui n’eût un éclat ou une fêlure. Le jeune médecin se donna à cœur joie de sa première soirée à Camberwell, et Sigismund s’anima visiblement sous l’influence de l’ale. Au moment où la gaieté était à son apogée, Horace se leva brusquement, tenant à la main les écailles vides du homard, et réclama le silence.

— Je l’ai entendu, — dit-il.

Un coup de sifflet aigu, venant de la porte, se fit entendre comme l’enfant disait ces mots.

— C’est lui ! — s’écria-t-il en courant à la porte. — Il est peut-être là depuis longtemps ; gare à moi si c’est vrai !

Chacun se tut ; et George entendit le jeune garçon ouvrir la porte du vestibule et courir à la porte. Il entendit un dialogue bref et une voix grave ayant une intonation presque farouche, puis des pas pesants sur l’allée pavée du jardin et sur le perron devant la maison.

— C’est ton père, Izzie, — dit Mme Sleaford. — Il aura besoin d’une bougie ; tu ferais bien de lui en porter une tout de suite, car je ne pense pas qu’il veuille entrer ici.