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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/71

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LA FEMME DU DOCTEUR

lire son nom en lettres capitales sur les affiches des théâtres du boulevard. Je me demande souvent combien de fois notre ami Guilbert aurait paru sur la scène s’il avait voulu rivaliser avec Racine et Corneille. Il s’est borné à faire ce qu’il pouvait faire ; il l’a fait honnêtement et il a reçu la récompense de son labeur. Quel est celui qui ne désire pas la réputation de génie ? Crois-tu que je ne préférerais pas être l’auteur du Vicaire de Wakefield que celui du Colonel Montefiasco ? Moi aussi j’aurais pu écrire le Vicaire de Wakefield ; mais…

George ouvrit de grands yeux en contemplant son ami surexcité.

— Mais non pas le Vicaire de Wakefield d’Olivier Goldsmith, expliqua Sigismund.

Il avait jeté sa plume et arpentait la chambre de long en large, les mains enfoncées dans ses poches et le visage écarlate.

— J’écrirais le Vicaire dans le genre mélodramatique. Moïse connaît le secret de son père… fausses signatures ou quelque chose de ce genre. Il part pour la foire par une accablante matinée d’été. Pas une feuille d’arbre ne bouge dans le jardin du presbytère. On entend le susurrement des abeilles qui viennent se cogner contre les vitres ; on voit la lumière se jouer dans les cheveux d’Olivia qui regarde son frère s’éloigner ; on voit celui-ci partir et la jeune fille le suivre des yeux ; l’atmosphère est pesante ; on entend le grincement de la faucille dans le champ de blé de l’autre côté de la route et la petite porte peinte en blanc retombe avec un petit bruit sec. Mlle Primrose retourne lentement vers la maison et dit : « Papa, il fait bien chaud. » Alors le lecteur sent qu’un événement va