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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/10

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LES OISEAUX DE PROIE

On le regardait d’un air quelque peu défiant, en dépit de la belle et solide apparence de ses meubles et de la blancheur éblouissante de ses fenêtres ; on se demandait ce que deviendrait cette prospérité toute neuve qui s’étalait si gaillardement au soleil, et si tout ce luxe ne disparaîtrait pas un beau matin en une flambée, comme un feu de paille.

Les voisins furent un peu surpris et même un peu désappointés lorsqu’ils virent que le dentiste nouvellement établi semblait faire ses affaires et trouvait le moyen de rester là où il était venu. Les rideaux de mousseline étaient changés souvent, très-souvent ; la pierre à frotter, l’huile, la flanelle pour les nettoyages étaient prodiguées ; on en abusait ; quant au linge de Sheldon, il continuait à être d’une pureté resplendissante. La surprise et la défiance firent alors place à un sentiment d’envie mitigé par le respect. Le dentiste avait-il beaucoup de clients ? C’est ce que personne n’aurait pu dire. Il n’est pas d’état et de profession dans lesquels un homme persévérant ne rencontre quelque léger encouragement. Une moitié des voisins déclarait que Sheldon s’était fait une petite clientèle, et mettait de l’argent de côté, tandis que l’autre moitié doutait encore et affirmait qu’il avait des ressources particulières et vivait aux dépens de son petit capital. Puis, peu à peu, les jours et les mois s’écoulant, des bruits transpirèrent. Sheldon avait quitté sa ville natale de Barlingford, dans le comté d’York, où son père et son grand’père avaient été chirurgiens-dentistes avant lui, pour venir s’établir à Londres ; il avait cédé avantageusement une excellente clientèle et avait transporté à la Métropole ses meubles : pesantes chaises et lourdes tables dont le bois avait été usé et poli par les mains de son aïeule ; comptant bien que sa bonne mine,