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LES OISEAUX DE PROIE

des moyens de publicité insuffisants. Tout de suite un joli jeune homme en habit râpé se mit à courir le quartier, frappant aux portes à la manière des facteurs, deux coups aussi secs, aussi tranchants qu’il savait, et distribuant des circulaires imprimées qui apprenaient au monde que Sheldon, chirurgien-dentiste, était inventeur d’une nouvelle méthode pour poser les fausses dents, incomparablement supérieure à toutes celles déjà connues ; et que, de plus, il était breveté pour un perfectionnement merveilleux de la nature, en corail. Le nom du perfectionnement avait été fabriqué avec du grec, du latin, ce qui, en général, inspire soudain, aux braves gens qui ne comprennent pas, une confiance démesurée.

Les voisins secouèrent la tête avec une prophétique solennité en lisant ces circulaires. De tous temps les pauvres gens, ceux qui passent leur vie à lutter contre la misère, se sont laissé aller aux tentations malsaines de l’envie ; en aucun temps ils n’ont pu se défendre d’une sorte de satisfaction cruelle en voyant se préparer et s’accomplir la ruine de ceux que le sort avait d’abord le plus favorisés. Cela n’est pas à l’honneur de l’humanité, mais cela est. Fitzgeorge Street et son entourage s’étaient jusqu’alors passés des services d’un dentiste ; mais il paraissait très-douteux qu’on pût, en exerçant cette profession, vivre avec le seul secours de la clientèle du quartier. Sheldon avait peut-être dressé sa tente, dans cette pensée que partout où il y a des hommes il y a des maux de dents, et que le guérisseur d’un mal si commun ne peut manquer de faire fortune en quelque lieu du monde qu’il lui convienne d’établir son petit arsenal d’horreurs. Pendant quelque temps après son arrivée, il fut l’objet de la préoccupation des voisins.