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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/103

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LES OISEAUX DE PROIE

avait eu raison, et qu’elle payait bien cher la pauvre gloire d’avoir épousé Paget. Elle connut peu le bonheur durant les quelques années de sa vie conjugale. Être menée d’un endroit à un autre ; dîner aujourd’hui dans Mayfair et demain dans un restaurant à un shilling ; porter des beaux habits qui n’ont pas été payés et se les enlever de sur les épaules quand le prêteur l’exige pour sa garantie ; savoir que son existence est un mensonge, un piège perpétuel ; sentir à ses côtés grandir le mépris, voilà le bilan d’une femme dont le mari vit des ressources de son intelligence. Et par-dessus toutes ces misères, Mme Paget avait à endurer les caprices du caractère d’Horatio. Quand les victimes tombaient dans le piège et semblaient de bonne prise, le capitaine était très-bon pour sa femme à sa manière, c’est-à-dire qu’il la faisait sortir. Et après lui avoir fait un sermon sur le chapeau fané qu’elle portait et qui l’agaçait, il lui en achetait un autre ; puis il lui faisait faire un dîner qui la rendait malade, après quoi il la renvoyait chez elle en fiacre, tandis qu’il allait finir la soirée dans une société où ses goûts étaient plus aisément satisfaits. Mais quand la chasse était mauvaise, oh ! alors, quel triste compagnon c’était que cet élégant Horatio ! Après avoir souri tout le jour de son rire menteur, tandis que la colère et l’ennui lui rongeaient le cœur, c’était une sorte de soulagement pour le capitaine que de se montrer violent, furieux dans l’intimité. Il avait alors vraiment quelque chose de la bête fauve. L’homme qui vit aux dépens de ses semblables a besoin d’endurcir son cœur ; car un sentiment de compassion, un atome d’humaine pitié briseraient ses plans les mieux conçus à l’heure du succès. Horatio et la compassion se brûlèrent de bonne heure la politesse dans le cours de la carrière peu scrupuleuse du capitaine.