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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/104

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LES OISEAUX DE PROIE

Le capitaine ne se montrait pas constamment malveillant envers la femme dont il avait daigné lier le sort au sien. La conscience qu’il avait conféré un très-grand honneur à Anna, en lui offrant sa main et une part dans sa vie difficile, ne l’abandonnait jamais. Il ne fit aucun effort pour élever la pauvre fille ignorante au rang de sa compagne. Il tressaillait lorsqu’il l’entendait faire un cuir, et s’éloignait d’elle d’un ton maussade en maugréant et en jurant ; mais bien qu’il trouvât désagréable de la voir aussi peu éduquée, il aurait trouvé plus ennuyeux encore de refaire son éducation. Or, l’ennui était une chose pour laquelle Horatio professait une aristocratique aversion. L’idée que son genre de vie pouvait répugner à sa femme, que cette fille roturière et d’une éducation plus qu’inférieure pouvait éprouver des scrupules qu’il n’avait jamais soupçonnés et pouvait connaître les tortures du remords et de la honte que sa nature grossière à lui ne connaîtrait jamais, ne lui put entrer dans la cervelle. C’eût été, en effet, une absurdité trop grande chez la fille du pauvre Kepp d’affecter une susceptibilité de conscience inconnue au descendant des Paget.

Anna avait peur de son élégant mari et elle l’adorait et le servait dans un doux silence, gardant le secret de ses propres chagrins et le gardant si bien qu’il ne devina jamais les nombreuses causes de sa pâleur et de son regard maladif. Elle lui avait donné une jolie petite fille, aux grands yeux noirs un peu étranges. Elle eût voulu que cette enfant fût l’espoir et la consolation de sa triste existence. Mais le loup n’est point un animal domestique, et un enfant pouvait devenir une entrave dans les évolutions rapides auxquelles le capitaine Paget et sa femme avaient coutume de se livrer. Avant que l’enfant