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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/137

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LES OISEAUX DE PROIE

Sheldon avait eu de son mariage deux enfants, qui tous les deux étaient morts. Ç’avait été un coup cruel pour cet esprit fort ; il n’avait cependant pas versé une larme, ni perdu une heure de son travail au profit de son chagrin. Georgy avait juste assez de pénétration pour s’apercevoir du désappointement de son mari de ne pas avoir un autre baby pour remplacer les deux faibles créatures qui, malgré des soins assidus, répétés, n’avaient pu vivre.

« Il semble qu’il y ait une malédiction sur mes enfants, » avait-il dit une fois avec amertume.

Ce fut la seule occasion dans laquelle sa femme l’entendit se plaindre de sa mauvaise fortune.

Cependant, un jour où il avait été particulièrement heureux dans une spéculation, où il avait réalisé ce que son frère appelait le plus beau coup de filet de sa vie, Philippe revint à la maison de très-mauvaise humeur, et, pour la première fois depuis son mariage, Georgy l’entendit citer un passage de l’Écriture.

« Acquérir des richesses, » murmura-t-il pendant qu’il arpentait la chambre du haut en bas, « acquérir des richesses, et ne pas savoir seulement à qui on les laissera ! »

Sa femme comprit qu’il pensait à ses enfants. Pendant leur courte existence, l’agent de change avait fréquemment parlé de progrès à accomplir dans l’art de s’enrichir, et c’était surtout la fortune de ses enfants qui le préoccupait. Aujourd’hui, ils n’étaient plus là… ils n’avaient pas, hélas ! été remplacés… Sheldon mettait toujours la même ardeur à s’enrichir ; il jouissait encore des succès rapides de ses opérations financières, de ses savantes combinaisons de spéculations ; mais pour lui un intérêt supérieur s’était dérobé à la direction de sa