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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/144

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LES OISEAUX DE PROIE

femmes aiment. Elle était tellement supérieure à son père et à sa mère qu’on supposait, en la regardant, qu’elle avait hérité des charmes de quelque aïeule mieux partagée. Elle avait quelque chose cependant de la bonne nature de son père et de son imprudente générosité. Enfin, je vous l’ai dit, elle avait été comblée par la nature, et sa vie était de celles qui ne sont qu’une suite de triomphes. Bien qu’elle eût été sermonnée plus qu’aucune autre à l’institution de Brompton, elle était adorée de toute la maison depuis la maîtresse jusqu’au gamin chargé de faire les chaussures. Si maîtresses et compagnes d’études, valets, chiens, et chats étaient épris de Charlotte, c’est que ses aimables et obligeantes façons ne leur avaient pas permis de faire autrement.

Elle resta neuf ans dans le gynécée de Brompton : elle sortait seulement les jours de fête. Son éducation était terminée et elle n’avait plus qu’une semaine à y passer.

Pour la plupart des jeunes filles de dix-neuf ans, ç’eût été une vraie joie ; pour Charlotte, ce n’en était pas une. Elle n’aimait pas son beau-père ; et sa mère, en dépit de sa gracieuse douceur, était une de ces personnes dont on a assez au bout d’une demi-heure. Dans l’institution, Charlotte menait une vie un peu bien régulière pour ses goûts. Et cependant, à tout prendre, elle se trouvait mieux à la pension que chez elle. Elle aimait ses compagnes qui l’adoraient ; leur babil étourdissant lui plaisait plus que la pauvre conversation de sa mère ; elle préférait le sale paillasson de l’étude aux moelleux tapis des appartements de Georgy, et les bosquets tranquilles du jardin de la pension aux parterres étriqués de Bayswater. À vrai dire, elle préférait tout aux lieux où vivait Sheldon, dont la figure soucieuse l’exaspérait.