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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/154

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LES OISEAUX DE PROIE

Paget, vous savez aussi bien que moi le sort qui m’attend. Je me regardais ce matin pendant que j’arrangeais mes cheveux devant la glace… vous savez combien il est difficile de trouver une place à la glace de la chambre bleue…, et j’y ai vu une vilaine créature, avec une méchante figure qui m’a effrayée. Depuis mon enfance, je n’ai fait qu’enlaidir et devenir mauvaise. Un nez aquilin et des yeux noirs ne suffisent pas pour faire une jolie femme, il faut de plus le bonheur, l’amour, l’espérance, et cent mille choses que je n’ai jamais connues de ma vie !

— J’ai vu cependant une belle femme traverser des moments difficiles, dit Charlotte d’un ton indécis.

— Oui ; mais quelle sorte de beauté était-ce ?… Une de ces beautés qui nous font frissonner… Ne parlez pas de ces choses-là, Charlotte ; vous ne faites qu’aviver mes tourments et mon amertume… Je devrais me trouver très-heureuse en pensant que j’ai chaque jour mon pain assuré, que j’ai des bas et des souliers, et un lit pour dormir. Je suis certainement moins à plaindre maintenant que je travaille pour gagner ma vie, que je ne l’étais autrefois lorsque ma cousine se plaignait sans cesse de ce que ses mémoires n’étaient pas payés. Mais ma vie est très-triste et très-vide, et lorsque j’envisage l’avenir, il me fait l’effet d’une longue plaine qui ne conduit nulle part, au travers de laquelle je suis condamnée à marcher toujours et toujours jusqu’à ce qu’à la fin je tombe et meure. »

C’est de cette façon que Mlle Paget parlait à Charlotte, alors qu’elles étaient assises toutes les deux dans le jardin, quelques jours avant la fin du premier semestre de l’année. Elle était sur le point de perdre sa fidèle amie, celle qui, bien que beaucoup plus for-