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LES OISEAUX DE PROIE

écoulée avait dégradé Valentin et n’avait pas peu contribué à l’endurcir, mais il n’était pas cependant complètement mauvais. Il eut une conscience plus nette de ses vices lorsqu’il commença à connaître la belle-fille de Sheldon ; il sentit très-bien que, s’il n’avait pas été un fiancé digne de Mlle Paget, il l’était encore bien moins de Charlotte ; il comprit que, s’il avait pu entrer dans les convenances de Sheldon d’user du capitaine et de lui pour l’aider dans le maniement de quelques obscures affaires, il n’était pas homme à accepter un de ces aides pour gendre. Il comprit tout cela et il comprit encore qu’en dehors de toute autre considération mondaine il y avait entre Charlotte et lui un gouffre infranchissable. Que pouvait-il y avoir de commun entre le complice d’Horatio Paget et cette innocente jeune fille dont le plus grand péché n’était peut-être qu’une leçon mal sue ou une dictée mal écrite ? Lors même qu’il eût pu lui offrir une position, un nom qui ne fût pas flétri, et des relations honorables, il sentait qu’il eût encore été indigne de son amour, impuissant à faire son bonheur.

« Je ne suis qu’un mauvais drôle et un vagabond, se disait-il à lui-même dans les moments où il se méprisait le plus. Si quelque fée bienfaisante venait à m’octroyer la plus magnifique villa de la terre avec Charlotte pour femme, je serais las de mon bonheur au bout d’une semaine ou deux. Je m’en irais quelque soir à la recherche d’une partie de billard et d’un bock. Y a-t-il de par le monde une femme qui puisse me rendre l’existence supportable sans bocks et sans billards ? »

Se connaissant lui-même beaucoup mieux que le philosophe grec n’admettait qu’il fût possible à l’homme de se connaître, Haukehurst décida qu’il était de son devoir