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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/19

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LES OISEAUX DE PROIE

nez d’une belle coupe aquiline, sa bouche ferme et très-fendue, son menton et sa mâchoire un peu plus carrés cependant que ne le sont en général les mentons et les mâchoires des têtes que nous venons de dire. Son front, où se dessinait assez nettement la bosse de la clairvoyance, ne révélait en somme rien de très-supérieur. Le phrénologue qui aurait voulu savoir l’homme qu’était Sheldon, ne l’aurait pu en se bornant à l’examiner du regard : il lui aurait fallu le secours de ses doigts ; car une des choses qui frappait le plus chez le dentiste, c’était sa chevelure ; elle était abondante, très-soignée, très-noire, comme ses favoris. Les favoris, bien taillés, attiraient aussi l’attention. Et après les cheveux et les favoris, les dents de Sheldon apparaissaient entre ses lèvres blanches, massives, caractéristiques : c’était une réclame parlante du plus bel effet. Un artiste aurait peut-être jugé les dents trop larges, trop carrées. Étaient-elles donc vraiment belles ? On ne savait. Généralement on disait qu’elles semblaient mieux faites pour la mâchoire d’un des grands félins, qui broient si bien dans les jungles de l’Inde les os des imprudents, que pour celles d’un homme. Néanmoins, comme elles étaient d’une blancheur magnifique et que le teint de Sheldon était très-foncé, cela faisait contraste et ce n’était pas laid.

Sheldon était un homme laborieux, actif, et patient. L’oisiveté du rêve lui répugnait ; sa pensée toute entière était au travail ; elle se concentrait sur l’objet qu’elle voulait atteindre avec une force et une souplesse d’une précision extraordinaire, comme mathématique. Les cases de ce cerveau avaient été rangées symétriquement comme le grand-livre d’un commerçant. Ses idées y étaient enregistrées avec tant d’art et de méthode, que sur