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LES OISEAUX DE PROIE

George regarda son frère avec un sourire ironique.

« À condition que vous aurez la part du lion dans les bénéfices, dit-il. Oh ! oui, je connais votre générosité, Philippe. Lorsque je vous ai demandé de l’argent, vous me l’avez admirablement refusé. »

La physionomie de Sheldon s’assombrit quelque peu.

« Votre manière de le demander était blessante.

— Si cela est, je le regrette. Néanmoins, puisque vous me l’avez refusé quand j’en avais besoin, il est inutile de me l’offrir, maintenant que je ne le demande pas. Il y a des gens qui pensent que j’ai sacrifié ma vie à poursuivre des chimères, et peut-être, êtes-vous de ce nombre. Eux et vous pouviez avoir raison. Mais vous pouvez être certain d’une chose, Philippe, c’est que si jamais je rencontre une bonne chance, je saurai la garder pour moi. »

Il y a des hommes qui, fort habiles à dissimuler leurs sentiments dans les circonstances ordinaires de la vie, les trahissent néanmoins au moment décisif. George n’avait aucune raison de cacher ses projets à son frère ; mais, pris à l’improviste, il s’oublia et laissa l’émotion du triomphe illuminer sa figure.

L’agent de change était plus habitué à lire sur les physionomies que dans les livres, et rien n’est curieux comme d’observer la puissance pratique qu’acquièrent les hommes qui ne lisent jamais. Il comprit la signification du sourire de George ; ce sourire à la fois vainqueur et méfiant.

« Le gaillard a trouvé quelque chose de bon, pensa-t-il en lui-même, et Haukehurst en est. Il faut que cela en vaille la peine, car il n’eût pas refusé mon offre d’argent. »

Sheldon était l’homme du monde le moins capable de laisser voir qu’il avait été choqué.