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LES OISEAUX DE PROIE

passe mon intellect. Qu’elle se soit confondue dans mes rêves avec Diana et jouant au trente-et-quarante avec une robe d’indienne retroussée sur un jupon de satin piqué, que je l’aie ensuite rencontrée dans le petit temple de stuc de la colline belge, et que je lui aie percé le cœur lorsqu’elle s’est transformée en Charlotte, cela ne relève que du train-train ordinaire des songes, et ne peut, par conséquent, me causer le même étonnement.

« En relisant la lettre de Sheldon, je vois que ce que j’ai maintenant à rechercher, ce sont les descendants de l’avocat Brice : c’est pourquoi j’ai employé l’heure de mon déjeuner à entrer dans l’intimité du plus vieux garçon de salle, un très-vieux spécimen de la confrérie, avec un tablier blanc montant jusqu’au menton, et tout entier au nettoyage des cuillers et des fourchettes.

« — Connaissez-vous ou avez-vous jamais connu dans cette ville un avocat du nom de Brice ? lui demandai-je.

« Il se frotta les mains sur son tablier blanc, semblant profondément réfléchir, puis, sa vieille tête se mit à branler pour dire non. Je vis tout de suite qu’il n’y avait pas grand’chose à espérer.

« — Non, murmura-t-il d’un air dolent, rien que je puisse me remettre dans l’esprit,

« Je voudrais bien savoir ce que le bonhomme entendait par se remettre quelque chose dans l’esprit ?

« — Cependant vous êtes d’Ullerton, je présume ?

« C’en était assez pour expliquer l’abrutissement du sujet.

« Imaginez-vous, mon cher, n’importe qui, employé à vous servir pendant cinquante-cinq ans des déjeuners et des dîners dans un trou comme Ullerton. Cinquante-cinq ans de beefsteaks et de côtelettes, cinquante-cinq ans de jambon et d’œufs, de rôties à peu près beurrées,