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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/260

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LES OISEAUX DE PROIE

et d’éternels grogs ! Après qu’il eut erré quelque temps en rangeant les fourchettes et les cuillers, et pendant qu’il s’occupait à débarrasser ma table, la figure éreintée du pauvre diable s’illumina tout à coup d’une lueur de clarté qui ressemblait presque à un éclair de raison.

« — Il y avait un Brice à Ullerton, dans mon enfance. J’ai entendu mon père parler de lui, murmura-t-il lentement.

« — Un avocat ?

« — Oui, un fameux extravagant ! Le prince de Galles était alors régent, en remplacement de son vieux père devenu fou, à ce que l’on disait. Les gens de ce temps-là étaient généralement plus extravagants qu’aujourd’hui, et puis, ils portaient des spencers. L’avocat Brice en avait un couleur prune.

« Imaginez-vous, mon cher, un avocat en spencer couleur prune ? Qui voudrait, à notre époque de lumière, confier ses affaires à un semblable personnage ? Je me rengorgeais considérablement, croyant que mon vieil imbécile allait m’être utile.

« — Oui, c’était un fier extravagant, reprit-il avec chaleur. Je me le rappelle comme si c’était hier, aux courses de Tiverford. Il y avait des coursés à Tiverford dans ce temps-là, et des gentlemen-jockeys. L’avocat Brice montait sa jument rouanne, on l’appelait Reine-Charlotte. Mais il a fini par mal tomber, à ce qu’on m’a dit. Il a spéculé avec de l’argent auquel il n’aurait pas dû toucher, vous comprenez, il est parti pour l’Amérique et il y est mort.

« — Mort en Amérique, est-ce possible ? Pourquoi diable n’est-il pas mort à Ullerton ! Il me semble que c’est un endroit plus agréable pour y mourir que pour y vivre. Et que savez-vous de ses fils ?