Aller au contenu

Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
LES OISEAUX DE PROIE

propre, le vieux oiseau s’y trouve bien et n’est pas tourmenté du désir de voir des horizons nouveaux ; mais de temps en temps surgit une couvée de jeunes descendants qui battent de l’aile, sont plus impatients, et ne demandent qu’à prendre leur volée au plus tôt et à courir le monde librement. Avant qu’une année se fût écoulée depuis le mariage de Georgy, son premier amoureux s’était complètement résigné et était dans les meilleurs termes avec son ami Tom. Il dînait avec le jeune ménage et du meilleur appétit. La façon dont Philippe envisageait les conditions de sa vie avait, en effet, creusé entre lui et Georgina un abîme bien plus profond que ne l’avait fait la cérémonie de la paroisse d’Hiley. Philippe était arrivé à penser que l’existence de sa ville natale n’était qu’une sorte de végétation animale, pareille à celle des crabes, des huîtres, et autres pauvres bêtes inférieures. Il comprenait alors que par delà les dernières maisons de son petit bourg, il y avait un monde immense, où un homme comme lui pourrait faire quelque figure. Ce monde l’attirait, ce qui est simple.

Une fois certain qu’il ne ferait rien de digne de lui à Barlingford, Sheldon pensa tout de suite à Londres. À ce moment même son père mourut très à propos. Philippe céda sa clientèle à un jeune praticien plus modeste et accourut dans la grande ville, où il fit l’infructueux essai d’établissement que nous avons dit.

Sheldon avait perdu quatre ans à Londres et il s’en était écoulé neuf depuis le mariage de Georgy. Pour la première fois il allait se trouver en face du sort heureux ou malheureux qu’il avait un instant convoité ; de la femme qui l’avait dédaigné pour un autre. Il résolut de juger la situation avec la froideur d’un anatomiste ;