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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/34

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LES OISEAUX DE PROIE

cette résolution, du reste, ne lui coûta pas beaucoup ; elle lui fut même facilitée par les circonstances. Les jeunes époux demeuraient chez lui ; dînaient à sa table ; c’étaient deux natures expansives et bavardes ; ils étaient de ces gens qui, à tout bout de champ, devant les étrangers, parlent de leurs affaires, se chamaillent, laissent voir au premier venu le fond de leur intimité.

Sheldon avait la sagesse d’observer une stricte neutralité ; il prenait un journal lorsque la petite discussion commençait et le quittait lorsqu’elle était finie, avec la plus parfaite apparence d’indifférence. Mais il est probable que le mari et la femme n’appréciaient qu’à demi cette réserve ; ils eussent probablement préféré qu’il jugeât en dernier ressort ; cela eût passionné le débat, c’est-à-dire l’eût fait plus intéressant. Pendant ce temps, Philippe les observait silencieusement par-dessus son journal et faisait à son aise ses remarques sur chacun. Qu’il fût satisfait de voir que les amours passées n’avaient pas toujours raison ou qu’il vît avec quel plaisir son rival avait le dessous, rien, dans sa figure, ni dans ses façons, ne le faisait deviner.

La naïve, mais bourgeoise gentillesse de Georgina s’était transformée. C’était alors une très-avenante jeune femme. Son teint et ses joues roses n’avaient rien perdu de leur ancienne fraîcheur ; ses longs cheveux châtain clair étaient aussi doux, aussi brillants que lorsque, toute jeune fille, elle les tressait pour aller au théâtre de Barlingford. Mignonne et frêle, Georgina avait eu une éducation ordinaire ; elle s’imaginait avoir acquis toute la science humaine en apprenant l’abrégé historique de Goldsmidt et les éléments de la Grammaire française. De plus, elle considérait comme le dernier mot de la perfection de la toilette une robe de moire