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LES OISEAUX DE PROIE

travail, et elle n’avait ni le temps, ni le goût d’approfondir ses sentiments.

Elle protesta énergiquement quand le capitaine parla de son âge.

« Quelle drôle d’idée qu’un homme se croie vieux à cinquante ans ! » dit-elle.

Horatio frémit en entendant l’accent et le mauvais anglais de cette jolie fille, bien qu’ils sortissent des lèvres qui lui avaient prodigué tant de consolation.

« Vous avez encore bien des années devant vous, monsieur, s’il plaît au bon Dieu, ajouta-t-elle avec piété, et je ne doute pas que vous ne trouviez encore de bons amis pour vous venir en aide. »

Le capitaine secoua tristement la tête.

« Vous parlez comme si vous alliez me dire la bonne aventure avec un jeu de cartes. Non, ma fille, je n’aurai qu’un ami sur lequel je puisse compter si jamais je me rétablis assez pour sortir de cette maison, et cet ami c’est moi. J’ai dépensé la fortune que m’avait laissée mon père. J’ai dépensé le prix de ma commission. Je me suis défait de tous les objets de valeur que je possédais ; pour dire le mot vulgaire : Je suis décavé, Anna. Mais d’autres hommes ont dépensé toutes leurs pièces de six pence et n’en sont pas moins arrivés à vivre tranquilles pendant plus de cinquante ans après. J’ose dire que je pourrai faire ce qu’ils ont fait. Si le vent est dur pour l’agneau tondu, je crois que les vautours et les hiboux savent se tirer d’affaire. J’ai essayé ma chance comme agneau tondu, et la tempête m’a été très-sévère. J’en ai assez et vais me joindre aux vautours. »

Anna regardait avec un profond étonnement le locataire de sa mère. Elle avait l’intuition qu’il venait de proférer quelque chose de méchant, une sorte de blas-