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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/152

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LE CORRECTEUR TYPOGRAPHE

« Les filles de Plantin ont toutes fait ce travail dans la mesure de leurs moyens. Madeleine, la quatrième, était la plus habile : elle lisait les textes hébreux, syriaques et grecs, qu’elle devait porter, lorsqu’elle n’avait que treize ans, à Arias Montanus, résidant alors dans la maison de Jean van Straelen, où il surveillait la composition de la fameuse Biblia Regia[1]… Marguerite, l’aînée, se distingua dès sa jeunesse par une grande vivacité d’esprit. Plantin l’appelle « une des meilleures plumes de tous les païs de par deçà pour son sexe[2] »… Henriette, la cadette, était la moins douée. Lorsqu’elle avait huit ans, dit son père, elle ne faisait d’autre besogne qu’aider sa mère dans le ménage. Elle ne corrigeait pas encore d’épreuves « pour la tardivité de son esprit lent ». Les jeunes filles travaillaient dans la chambre des correcteurs… La lecture des épreuves était également un des petits moyens dont Plantin avait composé son « art d’être grand-père »…

Ce n’est donc point de nos jours seulement que « les fonctions de correcteur furent remplies par des dames » ; ce fut bien avant l’époque de Boutmy, on le voit, qu’elles assumèrent avec la charge de fonctions techniques la responsabilité littéraire d’un atelier, et certaine au moins se montra à la hauteur de sa tâche.

Ne peut-on ainsi estimer par trop vif et trop radical l’arrêt rendu par Boutmy contre le « correcteur femme », et injustifiée la critique qui semble le clouer au pilori de l’opinion ? Une brebis galeuse prouve-t-elle que tout le troupeau est contaminé ; un correcteur inférieur à sa tâche, homme ou femme, est-il le signe indéniable que la corporation n’a plus rien qui vaille ? Pour dix femmes entrevues au bureau du patron ou du prote, il en est un cent dont la pudeur s’effaroucherait terriblement du soupçon que dans l’esprit de plusieurs cette présence paraît comporter. Et avec ça, Boutmy, que certains correcteurs hommes ne sont jamais entrevus au bureau du patron ou du prote, pour des motifs sur lesquels il est préférable de garder le silence ?

Doit-on conclure de ces lignes que nous sommes partisan du « correcteur femme » ? Nullement, et ce serait nous supposer tout gratuitement des sentiments qui ne sont pas et n’ont jamais été les

  1. Voir pages 83, 440 et 502.
  2. Correspondance, II, 173.