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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/198

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LE CORRECTEUR TYPOGRAPHE

Au milieu des déboires, des déceptions journalières, le correcteur sait garder sa dignité. « Comme tous les typographes, qu’ils soient imprimeurs ou compositeurs, il n’a d’ordinaire qu’une passion, celle d’un amour-propre exagéré[1] » ; encore est-il juste de dire que ce léger travers de son esprit, dont il cherche courageusement à s’affranchir, lui vient plutôt de la longue fréquentation avec ses compagnons à laquelle l’obligent les conditions de son travail.

Il en est cependant, parmi les correcteurs, qui, un jour de détresse, « tombés dans la débine », ne surent et ne purent jamais se relever. Boutmy, qui a peint sur le vif quelques types parisiens, a fait de l’un d’eux un portrait navrant[2] : « Un autre affecte des allures populacières et une mise débraillée ; il a le verbe haut, la faconde intarissable… Il fréquente assidûment le mastroc, devant le comptoir duquel il trône et pérore volontiers. C’est le type du correcteur poivreau[3]. On affirme autour de lui qu’il n’est jamais plus apte à chasser la coquille que lorsqu’il nage entre… deux vins. »

Heureux homme qui nage… et chasse de façon aussi délibérée et avec tant d’aisance ! S’il ne se noie dans son verre, peut-être finira-t-il par y tuer, un jour, sa raison et, avec elle, sa réputation. En attendant cette éventualité, la nage… entre deux vins doit, pour la chasse, comporter parfois quelques erreurs de tir dont auteurs et patrons sont loin, sans doute, d’être satisfaits. Compositeurs, apprentis apprécient différemment la situation et ne songent, pour leur divertissement, qu’à en tirer un profit lamentable. Le correcteur, à son insu dès l’abord, devient un sujet de critique inépuisable. Non seulement on discute son origine, mais aussi son savoir qui bientôt n’en impose plus. Souvent on conteste ses corrections ; parfois on les néglige. On fait fi de sa personnalité ; on oublie les services qu’il peut rendre encore. Sa situation est compromise ; son départ est considéré presque à l’égal d’un événement heureux.

Est-il aujourd’hui de ces situations que l’on puisse rapprocher de celle dont M. Baudrier parle dans sa Bibliographie lyonnaise[4] : Jean Lambany, prote-correcteur chez Barnabé Chaussard, maître

  1. D’après A.-T. Breton, Physiologie du Correcteur d’imprimerie, p. 41.
  2. Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes, p. 49.
  3. Voir également page 126.
  4. Bibliographie lyonnaise, 11e série, p. 42.