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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/197

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TENUE EXTÉRIEURE
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De la tenue, un peu de décorum même — oh ! tout simple, sans aucun soupçon de puffisme — n’ont jamais, que nous sachions, porté préjudice à personne.

A.-T. Breton, qui écrivait au temps du roi Louis-Philippe, détaille ainsi la silhouette animée du correcteur parisien de son époque : « Nous ne nous étendrons pas sur toutes les phases de sa vie : abstraction faite de son état, le correcteur n’a rien de bien saillant sur les autres hommes ; nous pourrions même dire qu’il est d’autant moins original qu’il est plus jeune ; car, sa fortune ne répondant pas toujours à son éducation, il est obligé de vivre dans un état d’isolement complet. Il tient le milieu entre la trinité de l’étudiant, du clerc et du commis, et l’unité de l’ouvrier ; il n’a point d’équivalent dans cette tourbe[1] où paraissent se confondre tant d’hommes de conditions et de rangs si divers ; car, on voudrait en vain se le dissimuler, malgré toute la vérité de la Charte, il est encore bien des lignes que certaines bourses ne peuvent pas franchir.

« Si vous avez quelquefois dépassé les limites de la banlieue et poussé vos explorations jusqu’aux prés Saint-Gervais, à Romainville, au bois de Boulogne, à Gentilly, au bois de Vincennes, vous n’avez pas été sans rencontrer quelque personnage de vingt-cinq à trente ans, à la démarche grave, mais quelque peu étudiée, aux cheveux longs et bouclés avec soin, habit noir d’une coupe antérieure d’un an à la mode du jour, pantalon idem, bottes selon le temps, le tout d’une propreté irréprochable, cravate mise avec goût, et tenant à la main un livre dont il paraît dévorer la substance : c’est le correcteur cosmopolite aux limites de son univers, le correcteur au début de sa carrière, distillant avec feu sa sève juvénile sur le Traité de Ponctuation de Lequien ou le Jardin des Racines grecques de Lancelot. »

Exempt d’ambition, le correcteur doit être aussi modéré dans ses opinions que simple dans ses goûts. Il sait que la pédanterie ne saurait être supportée, sans dommage moral pour lui, par des ouvriers habitués à coudoyer quelqu’un qu’ils n’estiment point leur supérieur, qu’ils veulent tout au plus leur égal, et qu’ils ont parfois trop de tendance à rabaisser à un niveau inférieur.

  1. A.-T. Breton emploie ici le mot « tourbe » dans le sens du terme latin turba, « foule, multitude », et non avec la signification péjorative qu’on a coutume de lui donner dans le langage courant.