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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/205

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TENUE EXTÉRIEURE
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confiance de certains desiderata, il est de bon ton, il est nécessaire de « fronder » le semblant d’autorité que paraît lui donner une telle situation ; il est indispensable de lui prouver qu’il est du même rang et du même sang que les autres.

Le correcteur en secondes éprouve des sentiments tout autres : indépendant de ses devanciers, à chaque labeur nouveau il extrait de son arsenal une règle différente ; sans égard pour les désirs de l’auteur, sans respect pour les ordres donnés, sans souci des efforts méritoires de ceux qui ont déjà expurgé l’œuvre, il se crée à lui-même une marche dont le seul mérite est de s’écarter des précédentes.

Ce ne sont plus le correcteur et le compositeur qui sont ennemis nés, mais bien ces correcteurs l’un pour l’autre. Les metteurs en pages, les typographes ne se font pas faute d’attiser ces jalousies, d’encourager ces dissensions, d’exciter ces luttes, suivant le hasard des jours, suivant leurs préférences et surtout suivant le bénéfice qu’ils en retirent. Le correcteur en secondes — un camarade — a-t-il indiqué un remaniement dispendieux, de nécessité fort discutable : on l’exécute cependant aussitôt, sans récriminer, sans en peser les conséquences dont le patron supportera les frais et peut-être aussi la responsabilité. Le correcteur en premières — un indifférent, un hostile — a-t-il relevé soigneusement nombre de fautes typographiques grossières et importantes, dont le compositeur doit subir seul les risques : de sa propre autorité le metteur en pages les annule ; il estime, lui, qu’elles sont hors de propos ; d’ailleurs leur exécution, quelque nécessaire qu’elle soit, le retarderait : il juge en maître.

Le prote assiste, impassible, à cette lutte journalière : il s’en désintéresse, bien plus même parfois il estime qu’elle lui est profitable. Il ne manque aucune occasion d’opposer l’un à l’autre ces érudits et ainsi d’exciter encore leurs rancœurs ; au lieu de se créer en ces collaborateurs des auxiliaires précieux, il ne cherche qu’à les desservir auprès du patron, à les rapetisser auprès des ouvriers, même à les avilir auprès des apprentis. Quelle singulière besogne, et comme il est désirable qu’un jour un patron clairvoyant fasse enfin supporter à ce prote les conséquences de sa louche attitude !

Par ailleurs, combien n’est-il point regrettable que des travailleurs dévoués, intelligents, ne puissent considérer là où est leur devoir :